Les mots morts – impacter, disruptif, management, décisionnaire - ayant été dits par les journalistes sérieux, on passe à la météo et l’on entend aussitôt, dans le studio, léger comme un nuage, un mot vivant : « ciel de traîne ». On n’est pas bien réveillé, on sirote son café, et l’on a envie de traîner avec le ciel en question, de divaguer comme il divague. Mais qu’est-ce donc qu’un ciel de traîne ?
Serait-ce un ciel qui traîne, en panique dans son dressing, hésitant, se tâtant, ne parvenant pas à choisir la couleur qui sera la sienne ?
Serait-ce un ciel doté d’une traîne de mariée ? Mais qui peut bien épouser le ciel ? Le vent. Les esprits obtus s’offusquent au motif que le vent et le ciel seraient du même sexe. Pour une fois, rappelons à ces gens-là ce que dit la loi !
Serait-ce un ciel musicien, avec une traîne dont le froufrou cher à Jules Laforgue emplirait l’espace ?
Serait-ce un ciel pêcheur en mer qui prendrait nos cœurs dans ses filets, ses traînes ?
Serait-ce un ciel qui raterait son décollage, comme ces perdreaux trop jeunes pour voler, qui ne s’éloignent guère de leur mère, et que Joseph de Pesquidoux dit « à la traîne » ?
Serait-ce un ciel encombré de nuages, retardataires, des nuages qui ne rentreront pas dans les délais et qui, pour cette raison, seront éliminés ?
Un ciel de traîne, c’est tout cela à la fois : un vers de Jules Laforgue, la robe d’une mariée, un chalutier, des perdreaux, une page de Joseph de Pesquidoux, des nuages à la ramasse.
La météo regorge de mots savoureux, de mots étranges quand elle est marine. Je me souviens de la météo marine, le matin, sur France Inter. On récitait la litanie des zones maritimes : Cromarty, Fisher, Dogger, Humber, Pazenn, Iroise, Palos, Cabrera, Annaba. Et tout à coup surgissait, semblable à une sagaie de sons, une phrase, un phrase courte, un vers, un vers qui, à lui seul, était un poème, un poème hyperréaliste et énigmatique à la fois : « Pour la zone Est Cabrera, vent de secteur Nord à Nord-Ouest fraichissant force 5 à 6, demain ». Le poème était dit par Annette Pavy. Je me souviens d’Annette Pavy.
Christian Laborde
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