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DÉFI LUZATUQuand nos déchets font les beaux jours de l’innovation

Et si la benne à déchets devenait une pépinière d’idées ? Avec son atelier de prototypage et l’appui de son chargé d’innovation, Bil Ta Garbi offre aux entrepreneurs du territoire un tremplin créatif inédit.
Les lauréats du défi Luzatu avec, au centre Maitena Curutchet et à droite Patrick Ferret
Bertrand Lapègue DR
Une vitrine locale pour l’économie circulaire, et une invitation en prolongeant la vie des matières, à repenser nos poubelles comme une source d’avenir.
L'atelier dont les lauréats peuvent se servir
Bil ta Garbi DR

Au Pays Basque, même les déchets ont droit à une seconde chance. C’est tout l’esprit du Défi Luzatu, lancé par Bil Ta Garbi à l’automne 2024. Son nom, qui signifie « prolonger » en basque, sonne comme une promesse : faire durer la matière au-delà de son premier usage. L’idée est simple mais ambitieuse : offrir à des porteurs de projets un atelier de prototypage à Macaye-Louhossoa, un accompagnement technique sur-mesure, et surtout l’accès à des ressources que l’on croyait perdues. Résultat : six initiatives locales ont déjà embarqué dans l’aventure, avec un même défi, à savoir transformer nos déchets d’aujourd’hui en ressources de demain.

Bil Ta Garbi n’en est pas à son premier galop d’essai dans le domaine. Labellisé « Territoire engagé pour l’économie circulaire » par l’ADEME depuis 2021, le Syndicat mixte en charge de la réduction et de la valorisation des déchets travaille de longue date sur la notion du déchet-ressource. Avec Luzatu, il franchit ici un nouveau cap : passer à la réutilisation directe. Car si trier, c’est bien, donner une nouvelle vie à un volet ou à une chute de métal, c’est encore mieux.

« Notre intérêt est de voir s'il y a une opportunité de développer une activité à partir de ce type de déchets ou d’autres », souligne Amaia Lissalde, responsable du service Prévention et Économie circulaire chez Bil Ta Garbi. Et de rappeler que la mission n’est pas seulement technique : « On souhaite que les habitants comprennent que la déchetterie, ce n’est pas juste un endroit où l’on jette. Derrière, il y a Luzatu, un atelier, des porteurs de projets, et tout un accompagnement pour imaginer une nouvelle vie aux matières. »

L’atelier des possibles

Pour concrétiser cette vision, Bil Ta Garbi a mis les petits copeaux dans les grands. L’atelier de Macaye-Louhossoa est équipé de machines à bois, à métal et à plastique, permettant de prototyper une large gamme d’objets. Les porteurs de projets n’y sont pas livrés à eux-mêmes : Patrick Ferret, chargé d’innovation en économie circulaire, leur ouvre la voie.

« Mon rôle, c’est d’abord d’accueillir les lauréats, de voir quelles machines ils vont utiliser, de les former si besoin, et de gérer le planning de l’atelier », explique-t-il. Mais sa mission va bien au-delà de la simple logistique : « Je peux aussi les accompagner sur le design, la conception, et surtout sur le sourcing des matières. Ce n’est pas toujours évident de trouver la bonne ressource au bon moment, mais c’est là que mon carnet d’adresses et ma curiosité jouent un rôle. »

Les volets utilisés par les Ateliers du Singe pour confectionner des bureaux
Bil ta Garbi DR

Avec près de trente ans d’expérience dans l’industrie, Patrick sait jongler entre ergonomie, matériaux et astuces techniques. « Travailler à partir de déchets, c’est moins simple qu’avec du neuf. Il faut parfois couper, ajuster, détourner l’usage. Avec les Ateliers du Singe, par exemple, on a décidé ensemble de couper les lames de volets en deux pour limiter les chutes. C’est une question d’optimisation, de respect de la ressource. »

Six projets, mille idées

Les six projets accompagnés reflètent la créativité du territoire : des instruments de musique en bois de récupération (Almeth), des luminaires et bureaux fabriqués à partir de volets réemployés (Les Ateliers du Singe), des objets de décoration gravés dans de vieux battants (Ibiltoki), du mobilier hybride associant plastique recyclé et métal de rebut (Resak), des abris extérieurs en matériaux de réemploi (LLA-RES), et des scénographies ou mobiliers sur-mesure (Cancan 64).

Tous témoignent d’un même pari : voir dans le rebut une ressource. Et parfois, les projets évoluent grâce à un dialogue constant avec la collectivité. « Un des porteurs, Les Ateliers du Singe, voulait faire des lampes. Finalement, il conçoit aussi aujourd’hui une gamme de bureaux de travail à partir de volets récupérés. Nous en sommes les premiers acheteurs, et nous espérons que ce répondra à un besoin d’autres collectivités ou entreprises », raconte Amaia.

Même logique pour Lou Larrieu de Cancan 64, qui planche sur un abri de don/réemploi pour les déchetteries fabriqués avec des matériaux de…réemploi. Et la boucle est bouclée . « Plutôt que d’acheter un abri standard venu d’on ne sait où, pourquoi ne pas le fabriquer localement, à partir de ressources disponibles ici ? C’est cette dynamique locale d’économie circulaire qui conduit nos actions aujourd’hui», ajoute-t-elle.

De la benne à la vitrine

La transformation du déchet ressource
Bil ta Garbi DR

Le Défi Luzatu ne se contente pas d’accompagner, il met aussi en lumière. Les productions issues de l’atelier seront visibles dans un bâtiment-vitrine récemment aménagé, voulu par la vice-présidente à l’économie circulaire, Maitena Curutchet. « Ce lieu permettra de montrer concrètement ce qui se fait en termes de réemploi et de réutilisation sur le territoire », souligne Amaia.

C’est une manière de convaincre, par l’exemple, que l’économie circulaire n’est pas une utopie mais une filière à part entière. Pour Patrick, l’essentiel est de donner corps aux idées. Le passage par l’atelier de prototypage est une étape décisive : il ne s’agit pas seulement de bricoler, mais bien de tester, d’ajuster et de donner une forme concrète à une idée pour vérifier sa faisabilité technique et économique.

Le produit fini
Bil ta Garbi DR

Le principal défi reste l’approvisionnement. Car si la matière existe en quantité, elle ne correspond pas toujours aux besoins immédiats. « Des ressources, il y en a des tonnes », constate Patrick. « Mais encore faut-il les trouver et les obtenir au bon moment. C’est le vrai frein. » C’est pourquoi Bil Ta Garbi cherche à élargir son réseau et à se faire connaître.

« On a besoin d’un coup de projecteur », insiste Amaia. « Plus nous serons identifiés, plus les entreprises s’adresseront à nous quand elles auront des chutes, des fins de séries de matériaux,… à jeter. L’idée, c’est que cela devienne un réflexe : plutôt que d’enfouir, penser Luzatu. »

Quand la loi s’en mêle

Le contexte réglementaire pousse aussi dans la bonne direction. La loi AGEC impose aux collectivités d’intégrer une part croissante de produits issus de l’économie circulaire dans leurs achats publics. « Aujourd’hui, c’est 20 %, demain ce sera 30 %, et ainsi de suite », rappelle Patrick. « Cela crée des débouchés, et permet à ces initiatives locales d’exister économiquement. »

Au fond, Luzatu n’est pas seulement un atelier, c’est un signal adressé au territoire : nos déchets ont de la valeur, permettent de préserver nos ressources naturelles et peuvent conduire à la création d’emplois locaux. Chaque volet, chaque ferraille, chaque panneau plastique peut devenir le point de départ d’un objet utile, esthétique et durable.

« Notre mission reste de donner une valeur au déchet, et de montrer qu’il y a une économie possible derrière », conclut Amaia. « C’est aussi un travail de fourmi : aller chercher les matières, accompagner les porteurs, mettre en avant leurs productions… Mais si on arrive à sensibiliser entreprises et collectivités, alors oui, on aura prolongé la vie de nos déchets, et ouvert la voie à de nouvelles activités. »

Le Défi Luzatu n’en est qu’à ses débuts, mais il trace déjà un chemin : celui d’une filière locale de l’économie circulaire, où la benne devient tremplin, et où la déchetterie se transforme en laboratoire. À Macaye-Louhossoa, on ne jette plus, on sème. Et les récoltes, demain, pourraient bien dépasser toutes les espérances.

Sébastien Soumagnas

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