Ce qu’il y a de bien quand on est milliardaire, c’est qu’on peut se payer toutes les folies qu’on veut. Exemple : la récente vente aux enchères des œuvres d’art de feu Paul Allen, le cofondateur de Microsoft, qui a atteint des sommets : plus d’1,5 milliard de dollars. Fallait-il qu’il aime la peinture ! Quoique cela procède du plaisir égoïste de l’esthète accumulateur.
Un gagne-petit, cet Allen, à côté de la dernière fantaisie d’Elon Musk : l’achat (pour 44 milliards de dollars) de Twitter, suivi de l’annonce d’une palanquée de mesures pas vraiment folichonnes : la dissolution du conseil d’administration, puis la mise à la porte du directeur général et de hauts responsables qu’accompagne environ la moitié de ses 7 500 nouveaux ex-collaborateurs dans une charrette aveugle et collective. Le tout avec une méthode qu’on croyait réservée aux adeptes du chamboule-tout : quelques lignes avisant du licenciement, balancées dans leur e-mail Twitter, un moyen fulgurant et efficace, mais qui manque singulièrement d’élégance.
Peu lui chaut, car Musk a des idées, et les moyens de les mettre en pratique. Jugeant son nouveau joujou obsolète et mal adapté à l’époque, il promet d’assouplir ses règles de modération, dans la louable intention de « faciliter la liberté d’expression ». Il annonce aussi sa volonté de rendre la certification sur la plateforme payante, pour 8 dollars/mois, afin de moins dépendre des annonceurs et de garantir davantage d’authenticité sur le réseau. Ses heureux abonnés pourraient de la sorte publier des vidéos plus longues, et se voir abreuvés de moins de publicité, qui représentaient jusque-là 90 % des revenus de la plateforme. Cela tombe bien, Häagen-Dazs, Pfizer, General Motors et Audi ont annoncé leur intention de quitter le nid de l’oiseau bleu, pas vraiment persuadés de la pertinence de l’analyse muskienne, et frileux face aux prises de position du patron de Tesla, rageusement pro-républicain et admirateur d’un autre milliardaire, Donald Trump. En attendant, qui sait, de suivre sa démarche présidentielle.
Face au dérapage prévisible, Musk a effectué un double salto arrière et mené une séance de calinothérapie envers le petit monde de la publicité. À l’occasion d’un Twitter Space, il lui a promis que la plateforme n’allait pas se transformer en déversoir de haines, car « les règles de modération ne vont pas changer ». Qu’il souhaitait faire de Twitter « une force pour le bien de la civilisation : peut-on réunir 80 % de l’humanité sur Twitter afin de discuter de manière positive ? Pouvons-nous échanger des mots plutôt que de la violence ? » Encore que ce qui suit soit le plus important : tout d’abord, la plateforme a jusqu’à présent été « historiquement faible » sur la vidéo, distancée par Tik Tok, Instagram ou YouTube. D’où l’obligation de les faire monter en puissance, ce qui nécessitera le lancement d’un énorme chantier sur l’infrastructure du site.
Ensuite, et surtout, Musk entend le rentabiliser, en développant les paiements, via le processus de vérification payant, donc du numéro de carte bancaire des utilisateurs. Pas de souci pour lui, il l’a déjà mis en pratique en 1999 avec sa banque en ligne X.com, devenue par la suite… Paypal. La première étape consisterait à favoriser les transferts d’argent entre utilisateurs du site, « peut-être avec une offre de 10 dollars à dépenser sur Twitter ». La seconde, à proposer des comptes d’épargne à haut rendement sur la plateforme, qui serait alors utilisée comme compte en banque. L’achat de Twitter prend dès lors tout son sens, et Musk n’est décidément pas la moitié d’un neuneu.
Près de 20 % de la population française sont adeptes du petit oiseau bleu. Ce qui signifie que 20 % de nos lecteurs le sont aussi. Les voilà donc désormais informés, en attendant d’être picorés par le petit oiseau bleu. De rien.
Dominique Padovani
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