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RENCONTRELes professionnels du bâtiment, entre résilience et audace

La Fédération française du bâtiment des Pyrénées-Atlantiques a mis en lumière la conjoncture difficile pour les chefs d’entreprises. Sébastien Labourdette nous livre son point de vue…
La FFB 64 compte plus de 740 entreprises adhérentes, employant plus de 10.500 personnes, soit près des deux tiers des effectifs salariés du département dans le secteur de la construction.

Ces entreprises représentent tous les corps de métiers, du maçon au charpentier en passant par l'électricien et le plombier. Depuis quatre ans, les entreprises de la construction font face à des difficultés croissantes : crise sanitaire, hausses des coûts de l’énergie et des matières premières et baisse d’activité…

L’année 2023 a, elle aussi, connu son lot de problèmes. Pour autant, la FFB 64 veut croire qu’après la pluie viendra le beau temps. La Fédération du bâtiment des Pyrénées-Atlantiques joue un rôle essentiel pour représenter et défendre les intérêts de ses adhérents, ainsi que pour promouvoir le secteur auprès du grand public.

Au-delà de son action de lobbying auprès des élus locaux concernant les intérêts collectifs de la profession, la FFB 64 accompagne ses adhérents (chefs d’entreprise et artisans) dans plusieurs domaines : le conseil juridique et la sécurité sociale, la formation professionnelle et l’apprentissage, l’emploi, la transmission d’entreprise, la promotion de la filière auprès des jeunes et des chômeurs… Elle assure aussi une mission d’animation auprès de ses adhérents, avec notamment des rendez-vous thématiques.

À l’occasion de l’assemblée générale, qui a eu lieu le 23 mai au cinéma Le Méliès à Pau, Sébastien Labourdette, président de la FFB 64 et dirigeant du groupe Sogeba, est revenu sur l’année écoulée et les perspectives pour les prochains mois.

C’est une organisation en pleine évolution. Elle s'adapte constamment aux nouveaux enjeux du secteur du bâtiment (transition énergétique, diversification, valorisation des déchets, construction durable…) et met en place des actions innovantes pour répondre aux besoins de ses adhérents.

La fédération est également très engagée dans la digitalisation et propose de nombreux services en ligne à ses adhérents.

Les professionnels du bâtiment font face à une conjoncture difficile depuis la pandémie. Que pouvez-vous nous dire sur l’année écoulée ?

Sébastien Labourdette - Le secteur du BTP souffre énormément. C’est probablement le domaine le plus sinistré des Pyrénées-Atlantiques, le plus préoccupant. Beaucoup d’entreprises se retrouvent en difficulté en raison de la chute d’activité. Depuis un an et demi, nous enregistrons au moins 50% de baisse au niveau de la construction de logements neufs. Pourtant, le logement est un réel sujet de préoccupation dans le département, avec des besoins toujours plus croissants [20.000 demandes de logements restent non pourvues]. Pour les entreprises, ça crée un manque d’activité et de la perte d’emploi. Sur les 12 derniers mois, nous constatons une baisse de 27,8% d’ouverture de chantiers par rapport à 2022. Sur la dernière décennie, 6.000 logements par an ont été construits, en moyenne. En 2023, on est tombé à 3.105 logements et on en prévoit seulement 2.500 cette année.

Et dans les autres secteurs ?

S. L. - Concernant le non résidentiel, la situation est tout de même moins catastrophique, mais la tendance reste à la baisse sur les locaux commencés. En revanche, on assiste à un rebond sur ceux portés notamment par le secteur privé non agricole.

Enfin, dans les travaux publics, seuls 18% des chefs d’entreprises envisagent une hausse de l’activité, tandis que les carnets de commandes s’amenuisent de plus en plus. La commande publique constitue le seul espoir de maintien de l’activité pour les professionnels. L’entretien et la rénovation sont aussi des domaines en progression. Ils représentent environ 48% de l’ensemble du marché et continuent de progresser, avec +3.7% en 2023.

Qu’en est-il du privé ?

S. L. - Il reste porteur d’activité pour la FFB 64, même si la construction de logement correspond à la moitié de notre chiffre d’affaires. L’aéronautique, l’industrie et l’agroalimentaire sont des secteurs très importants sur la zone du Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes. Il y a de formidables opportunités de croissance d’entreprises, notamment dans les énergies vertes. Les collectivités nous demandent de produire 2.000 logements pour les salariés de ces entreprises. Mais là encore, les projets sont retardés en raison de l’acceptabilité : la plateforme de Lidl a été décalée d’un an, Élyse Énergies suscite beaucoup de débats, le projet Nacre, la nouvelle prison et l’échangeur de Pau… On a tendance à prendre beaucoup de retard.

Quelles sont les conséquences de cette chute de la construction ?

S. L. - En 2023, 500 emplois ont été supprimés dans l’activité BTP. Et la tendance semble s’intensifier, avec la perte de 250 salariés durant les trois premiers mois de cette année. Si on continue sur cette dynamique négative, ce seront 1.000 emplois perdus en 2024. Sans surprise, le nombre de défaillances d’entreprises augmente, sans pour autant atteindre des seuils critiques. En effet, la FFB 64 a enregistré l’année dernière 86 défaillances, pour 2.894 créations d’entreprises (hors micro-entreprises). Plusieurs fois par semaine, je reçois des appels d’entrepreneurs qui font face à des difficultés. La semaine dernière, j’ai reçu un appel d’un chef d’entreprise de 28 salariés qui m’annonçait la mise en redressement judiciaire de sa société. Il y a bien sûr un sentiment d’abattement, car c’est souvent l’aventure d’une vie. La FFB peut les accompagner dans la transformation de leur entreprise.

Comment expliquer cette mauvaise conjoncture pour le BTP ? 

S. L.- Les prix des matières premières n’augmentent plus, mais ils ne baissent pas assez vite. J’en veux profondément aux industriels mondiaux, qui ont justifié la hausse de leurs tarifs par celle des matières premières. Aujourd’hui, ces dernières ont baissé, mais les fournisseurs n’ont pas répercuté cette évolution. Par exemple, le prix du gaz est pratiquement revenu à un point d’équilibre qui était celui d’avant la guerre en Ukraine.

Par ailleurs, le gouvernement cherche à faire des économies, en enlevant près d’un milliard d’euros sur le dispositif MaPrimeRénov, censé financer tout ce qui relève de la transition énergétique dans les bâtiments ; on note aussi la quasi-disparition du prêt à taux Zéro. Quant aux collectivités, elles réduisent leurs investissements. La politique de la Zéro artificialisation nette (ZAN) est aussi une des explications de la baisse de construction de logements neufs, mais c’est une nullité absolue : tous les territoires sont différents, dans certains endroits, il est pertinent de construire sur des terres agricoles, tandis que dans d’autres non.

L'augmentation des taux d'intérêt est aussi une des causes de la baisse du nombre de construction de logements neufs...

S. L. -Effectivement, le secteur bancaire a un rôle essentiel à jouer. Le principal acteur bancaire de la région (qui finance 50 % des projets immobiliers) rejette 66% des demandes de financement sur le logement. Ce chiffre est à la fois alarmant et révélateur d’une situation réelle : sur dix personnes qui se lancent dans le projet de construction d’une maison, on dit non à six ou sept d’entre eux ! Dans le même temps, trois projets de construction sur quatre ne voient pas le jour : faute de financements, par manque d’acquéreur, car le coût est trop cher, parce que le primo-accédant se voit refuser son prêt…

Les normes environnementales constitutent un surcoût et une contrainte pour les professionnels du bâtiments...

S. L. - C'est exact. Chaque année, des normes environnementales de plus en plus contraignantes voient le jour. Quant aux dispositifs de financements, créés pour faciliter les constructions ou les rénovations, changent en permanence : on fait deux pas en avant, trois pas en arrière, deux à droite et un à gauche. Même nos professionnels s’y perdent. Or, un chef d’entreprise a besoin d’avoir une vision à long terme pour mener un projet de construction ou de rénovation. Si on change les règles du jeu tous les quatre matins, ce n’est pas tenable. C’est pourquoi nous plaidons aujourd’hui pour la mise en place d’un palier normatif. Avant d’en créer de nouvelles normes et réglementations, qu’on essaye d’abord de mettre en place celles qui existent déjà. Le gouvernement a un projet environnemental ambitieux, ce qui est très bien, mais en essayant de faire des économies sur la construction, il ne se donne pas les moyens d’y parvenir.

Quel message portez-vous aujourd’hui ? 

S. L.- Le BTP n’est pas un poids pour la France. Nous sommes au contraire une source de richesse non délocalisable et locale, un investissement rentable. Par contre, pour bénéficier du fruit de l’investissement, il faut mettre du carburant dans la machine. Le ministère de l’Économie et des Finances annonce qu’il manque 10 milliards d’euros de fiscalité directe en 2023. Lorsqu’on ne construit pas de logement, toute la fiscalité qui y est rattachée s’effondre. L’an dernier, la non-construction de logement a généré une perte de quatre milliards d’euros de recette fiscale. On parle ici des taxes locales, de la TVA, des charges sociales des entreprises du BTP…

Du côté de nos adhérents, notre message est le suivant : avoir un secteur d’activité unique ou trop ciblé est dangereux dans la période actuelle. Aujourd’hui, il faut savoir se diversifier. Ça passe par la rénovation énergétique, les nouvelles énergies (géothermie, solaire…). Nos entreprises ont besoin de se transformer, de se moderniser et faire preuve d’audace en se mettant en danger sur de nouveaux marchés porteurs. C’est un vrai sujet. Le modèle historique d’une entreprise faisant exclusivement de la construction de logement neuf est terminé.

Dans une conjoncture telle que celle-ci, voyez-vous un espoir d’amélioration ? 

S. L. - Bien sûr ! Je reste persuadé que derrière ces nuages noirs se cache un grand soleil. Il faut tenir bon, accepter le changement et ne pas avoir peur de l’avenir, qui sera ce qu’on veut en faire. Être un chef d’entreprise, c’est aussi faire preuve d’audace, tenter des choses, sortir de sa zone de confort, se renouveler et surprendre, dans des moments qui ne sont pas toujours faciles.

On a la sensation d’être à l’aube d’une situation nouvelle, nécessairement différente. Le jour où les projets de construction déjà évoqués seront en marche, il faudra avoir une main-d’œuvre disponible et des entreprises en bonne santé, prêtes à faire le job.

Propos recueillis par Noémie Besnard

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