Dans la foulée d’un parcours exceptionnel, Philippe Tillous-Borde préside aujourd’hui la Fondation Avril. Malgré une vie professionnelle hyperactive, il revient très souvent dans le département, entre Monein (où est installé son cousin Jean-Pierre) et Saint-Jean-de-Luz, avec son épouse, médecin, ses deux fils et ses six petits-enfants.
Le virus du rugby reste très présent dans cette famille de souche béarnaise et souletine. La famille, originaire d’Esquiule, s’est illustrée notamment par son père au Stade Français dans la période d’avant-guerre ; tandis que son petit-neveu, l’ancien international Sébastien Tillous-Borde, fait aujourd’hui partie du staff du Racing Club Toulonnais.
Malgré une hyper-myopie congénitale qui l’a rendu mal-voyant, Philippe Tillous-Borde a initié puis mené à bien, en tandem avec Jean-Claude Sabin, une aventure agro-industrielle aussi unique que remarquable.
[caption id="attachment_119727" align="alignleft" width="309"] Philippe Tillous Borde (à droite sur le photo) aux côtés de Jean-Claude Sabin[/caption]
Comment est née cette saga entrepreneuriale ?
Philippe Tillous-Borde – J’ai fait la connaissance de Jean-Claude Sabin en 1975, et nous avons eu l’occasion de nous rapprocher lors d’un voyage d’études. Cet homme avant-gardiste, proche de Michel Debatisse, était le « Monsieur soja » français. Sa mission était de trouver des solutions pour sortir d’une totale dépendance des Etats-Unis au niveau des tourteaux de soja. L’embargo américain de 1973 avait eu des répercussions dramatiques dans de nombreux élevages, avec une très forte mortalité. Quand le ministère de l’Agriculture a fait appel à moi pour contribuer à la recherche de solutions, je faisais mes premières armes professionnelles au sein d’une société commune Oleafin du CNTA (Comptoir National des Techniques Agricoles) et du Groupe Louis-Dreyfus.
[caption id="attachment_119728" align="alignright" width="281"] Jean-Claude Sabin[/caption]
Ce voyage a été le point de départ de votre duo ?
Ph. T.-B. – Oui, car ce déplacement avait clairement pour but de mettre en place un plan français pour les protéines et les huiles végétales. Personnellement, j’étais sûr que l’on devait être capable d’en produire dans le Sud-Ouest mais aussi de jeter les bases d’une filière solide. Au cours de ce voyage fin juillet, je les ai fait souffrir. Je prenais des notes et des notes, pendant des heures au cours des différentes visites, alors qu’ils étaient assommés par la chaleur. Jean-Claude Sabin rigolait : « il est tignous ce petit ». C’est à partir de là que notre tandem s’est constitué : lui pour apporter sa vision sur la stratégie agricole, moi pour bâtir l’outil industriel indispensable.
[caption id="attachment_119729" align="alignleft" width="183"] Philippe Tillous-Borde bâtisseur de l'outil industriel[/caption]
Dès le début, vous étiez donc sur une approche de filière ?
Ph. T.-B. – C’est l’originalité et la force de notre démarche. Il était indispensable de créer une filière pour les huiles et les protéines en réunissant tous les acteurs, de la production jusqu’au consommateur. Mais pour réussir, il fallait commencer par se donner les moyens nécessaires. D’où la construction d’un établissement financier, baptisé Sofiprotéol. La première pierre de l’édifice était posée. Deuxième étape décisive : en 1983, nous avons repris les actifs industriels de la société Oleafin filiale du CNTA alors en grande difficulté.
Nous avons ainsi récupéré un outil industriel que nous avons rationalisé et développé avec l’objectif d’être leader sur ce plan, au niveau mondial. L’enjeu était également de créer des grosses entités compétitives au niveau des coûts. Il fallait anticiper. La suite des évènements nous a donné raison.
Sur le plan agricole, quelles ont été les étapes décisives ?
Ph. T.-B. – Un tournant essentiel a été la mise en place de la politique agricole commune (PAC) en Europe, au début des années 1960. Elle s’est construite autour des céréales, du lait et de la viande. Dans un premier temps - par facilité -, l’Europe avait oublié les matières riches en protéines et huiles végétales. Les Etats-Unis ont volontairement empêché de soutenir les matières riches en protéines qui, ainsi que les huiles végétales, ont été « oubliés » dans la 1ère phase de la PAC. Ils ne se sont pas méfiés, c’était une chance à saisir. A la fin des années 1970, la Commission européenne a réagi en intégrant le colza, le tournesol, le soja… et autres protéagineux. Nous avons pu ainsi structurer le volet amont de la filière. A la fin des années 1980, nous avons, par exemple, bâti des relations fortes avec la Coop de Pau, devenue Euralis, pour développer les oléagineux. C’est de là qu’est née la branche Euralis Semences, au début des années 1990.
Et en ce qui concerne les biocarburants ?
Ph. T.-B. – L’instauration des jachères à l’occasion de la grande réforme de la PAC, en 1992, accompagnée de la négociation multilatérale du GATT* Uruguay Round (avec l’accord qui a dû tenir compte du résultat du contentieux à Blair house avec les Etats-Unis sur le droit à soutenir la production d’oléagineux en Europe) a été une opportunité que nous avons saisi avec Jean-Claude Sabin. Nous sommes allés à la Commission à Bruxelles pour décrocher l’autorisation d’exploiter les jachères pour des productions à des fins non alimentaires. Cette décision majeure nous a permis de lancer, dès 1993, un biocarburant à partir d’huiles végétales : le diester, contraction de diesel et ester.
* Global Agreement Trade Tariff devenu OMC = Organisation Mondiale du Commerce ou WTO World Trade Organisation
Comment s’est complétée la filière ?
Ph. T.-B. – Dès le départ, nous avons travaillé dans cet objectif de construction d’une filière complète, réunissant tous les acteurs. Encore une fois, la clé de la réussite passait par la création de l’entreprise permettant de financer la filière, Sofiprotéol, et par le développement d’un outil industriel majeur, efficace et rentable. A la fin des années 1990, deux évolutions majeures ont été initiées. D’abord, avec la production de tourteaux consommés dans les élevages, le groupe a pris position dans le secteur du bétail, notamment en prenant le contrôle de Sanders. Ensuite, nous avons investi dans la vente d’huiles aux consommateurs avec le rachat d’un acteur leader, Lesieur.
Ph. T.-B. – Le groupe est devenu le premier triturateur en France (80% du secteur) avec un impact important en Europe 25 % (plus de 5 millions de tonnes de graines transformées). Il a poursuivi la consolidation de ses positions alimentaires et non-alimentaires et accéléré son développement en Europe (pays de l’Est, particulièrement), puis de l’autre côté de la Méditerranée. Même chose concernant la production des aliments pour le bétail et les produits de spécialités.
[caption id="attachment_119735" align="alignright" width="300"] Xavier Beulin et Philippe Tillous-Borde[/caption]
Quand est né le groupe Avril ?
Ph. T.-B. – En 2015, pour tenir compte de l’évolution de l’entreprise qui réalisait 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires avec 8.500 collaborateurs. Jusqu’à présent, Sofiprotéol finançait à la fois le haut de bilan des entreprises agroalimentaires françaises et contrôlait majoritairement le capital du groupe leader dans la transformation des oléagineux Saipol, Lesieur, Diester Industries etc. et de la nutrition animale Sanders ; auparavant, Jean-Claude Sabin avait pris sa retraite en 2000, passant le relais à Xavier Beulin (le nouveau président de la FNSEA).
La restructuration de la gouvernance a été initiée dès 2013, en partant du principe que Sofiprotéol ne pouvait plus continuer à cumuler sa vocation de financier et une mission d’industriel.
[caption id="attachment_119736" align="alignleft" width="300"] Campus Avril[/caption]
Quelle a été la solution choisie ?
Ph. T.-B. – Nous avons adopté le statut de société en commandite par actions permettant de bien identifier au sein du groupe les entités industrielles, indépendamment de la société d’investissement, Sofiprotéol. Le Groupe Avril comprend désormais : les associés commanditaires, représentant l'actionnariat, qui exercent un contrôle au niveau du Conseil de surveillance ; l’associé commandité, en l’occurrence la société Avril gestion, qui assure la direction opérationnelle. Pour garantir l’indépendance du groupe et pérenniser le capital sur le long terme avec une vision d’intérêt général, c’est la Fondation Avril (reconnue d’Utilité Publique) qui est devenue l’actionnaire principal commanditaire. Ainsi, les dividendes du groupe viennent alimenter des actions d’utilité publique. C’est cohérent par rapport à l’ADN du groupe.
Vous présidez la Fondation. Quelles sont ses missions ?
Ph. T.-B. – Elle soutient des causes d’intérêt général liées à un développement durable. Sa stratégie consiste à favoriser la mise en œuvre de pactes entre agriculteurs et citoyens-consommateurs autours d’une alimentation saine et de services durables. Cette mission permet ainsi de préserver un environnement de qualité dans les territoires, mais aussi de favoriser la solidarité dans le monde rural avec la revitalisation des campagnes et des petites villes. En Afrique, nous avons pour objectif d’accompagner l’organisation des filières agricoles pour une alimentation saine et durable. La préservation de la biodiversité fait partie de nos priorités, comme la lutte contre le changement climatique. Dans la région, la Fondation travaille avec l’Association française d’agroforesterie dans le cadre du programme AGREAU sur l’introduction de l’agro-écologie dans l’agriculture. Elle a aussi pour objectif une réflexion sur la problématique des réserves en eau pour une bonne utilisation en agriculture tout en restant disponible, bien entendu, pour la préservation de la biodiversité.
Photos : livre des 30 ans de Sofiprotéol
Pour en savoir plus sur Philippe Tillous-Borde, nous vous conseillons de lire son ouvrage : « Un homme d’entreprise visionnaire » - cliquez ici
Informations sur le Groupe Avril - cliquez ici
Pour découvrir les missions de la Fondation Avril - cliquez ici
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