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La petite hydroélectricité : des petites entreprises qui ne connaissent pas la crise ?

À la tête d'une entreprise familiale qui possède six petites centrales au Pays basque, Christine Etchegoyhen est très impliquée dans la défense de la petite hydroélectricité. Ensemble, nous revenons sur la situation et l'avenir d'une filière locale importante.
Une centrale des Forces Motrices du Gurmençon.
En 26 ans d'expérience, elle en aura vu passer des choses... Aujourd'hui à la tête des Forces Motrices de Gurmençon, elle s'attache toujours à promouvoir et défendre sa profession.

En parfaite porte-drapeau de l'entrepreneuriat au féminin et de la petite hydroélectricité, nul doute que bon nombre de situations diverses et variées se sont présentées à cette ancienne présidente de France Hydro Électricité* qui reste administratrice de ce syndicat professionnel, vice-présidente de l'association Union des Producteurs d'Électricité du bassin de l'Adour (UPEA), ainsi que membre du sous groupement UPHPB composé des producteurs hydroélectriciens basques.

Alors quel est son avis sur la situation actuelle de l'énergie, sur la possible crise qui se profile pour cet hiver, et comment la filière de la petite hydroélectricité l’envisage ? On voit ça ensemble...

Pour commencer, et que l'on comprenne bien, est-ce que vous pouvez nous présenter la situation de la petite hydroélectricité sur notre territoire ?

Christine Etchegoyhen : Bien sûr. Dans les Pyrénées-Atlantiques, il y a environ une centaine de centrales qui produisent de l’hydroélectricité. Il y a des grosses unités généralement équipées de réservoirs et des petites centrales fonctionnant essentiellement au fil de l’eau.  C'est une filière importante pour le département puisque, par exemple, pour le Pays basque 7% de l'électricité consommée est issue de l‘hydroélectricité locale.

Depuis quelque temps, tous les producteurs basques (de la très petite à la grande hydroélectricité) se sont rapprochés pour travailler ensemble, se coordonner et défendre notre filière. Nous partageons des actions communes et, en particulier, celle d’expliquer au grand public quel est notre rôle sur le territoire. Nous avons d'ailleurs beaucoup de questions des visiteurs. Il y a quelques mois ils s’inquiétaient, à juste titre, de l’évolution du prix de l'énergie, aujourd'hui c'est plutôt de savoir s'il y aura de l'énergie ou non durant les mois à venir et comment y remédier : autoconsommation, sobriété, relation avec les producteurs locaux, etc. 

C'est une problématique au centre de l'attention en ce moment, et beaucoup de conseils et de suggestions vont dans un sens qui nous laissent comprendre que l'on pourrait manquer d'énergie cet hiver... Comment est-ce que la filière voit ce risque ?

C. E. : Le risque, c'est que l'on ait un hiver sec, et que l'on manque d'eau pour faire tourner nos machines. C'est une préoccupation pour les grands opérateurs, qui doivent assurer un remplissage suffisant de leur réservoir indispensable pour répondre aux pics de consommation.

L'avantage de la petite hydroélectricité, c'est que l'on peut démarrer nos machines bien plus vite et donc délivrer très vite de l'énergie sur le réseau local. Cet été est un bon exemple, puisqu'il a été assez sec, mais dès qu'il a plu nous avons pu redémarrer nos installations en quelques minutes. Avec les fortes pluies de la semaine précédente, ce fut aussi le cas. Notre réactivité est la force de notre filière.

Là où je vois un risque, c'est plutôt concernant le réseau électrique français (qualité et quantité d’énergie). Puisqu'il y a moins d'énergie délivrée par le nucléaire, toutes les sources d’énergies renouvelables et décarbonnées sont nécessaires et doivent être mobilisées y compris la petite hydroélectricité. Or, si l'hiver est sec, il sera compliqué de satisfaire la demande d’électricité.  La filière a fait des propositions concrètes aux services publics pour accroître la production, et nous avons une capacité d’adaptation acquise grâce à la très bonne connaissance et à l’optimisation constante de nos installations. Cela risque par contre d'être plus compliqué pour les consommateurs.

Vous parlez d'adaptation, existe-t-il des solutions qui pourraient rassurer les consommateurs ?

C. E. : La première des préoccupations est le prix de l’énergie. Il faut savoir que la plupart des petites centrales vendent leur énergie à un prix encadré et donc maîtrisé, bien inférieur au prix de marché actuel. La seconde des préoccupations est la quantité et la qualité de l’énergie produite.

Nous avons à cœur d’optimiser continuellement la production de nos centrales en limitant ou supprimant les pertes ou les suréquipant, et le territoire possède encore du potentiel hydroélectrique inexploité, équipable avec les dernières innovations pour répondre à toutes les réglementations (environnementales, santé et sécurité…). Si la quantité d’énergie produite dépend aussi de l’hydraulicité, nos installations permettent de contribuer à la stabilité du réseau local (soutien de la tension et de la fréquence), grâce à leurs composants internes spécifiques. On s'est déjà adapté aux fluctuations de débit, mais cela ne se fait que sur un retour d'expérience, on n'a pas encore de boule de cristal pour prédire comment sera demain !

Essayons tout de même de faire appel à vos quelques dons de voyance... Comment est-ce que l'avenir semble-t-il se dessiner pour la filière de la petite hydroélectricité ?

C. E. : C'est difficile à dire.  Je n’ai pas de don de voyance mais notre filière possède le meilleur retour d’expérience car plus que centennal et a su affronter dans le passé, des crises majeures (guerres, crise pétrolière de 1973, tempêtes, crues, très faible hydraulicité comme celle de l’année 1989, etc.). Pour cette année, ça devrait aller pour les petites centrales de notre région. On a eu un bon début d'année, cet été aura été sec plus longtemps que d’habitude, et c'est la fin d'année qui déterminera si 2022 sera une année correcte ou non. Mais dans tous les cas, pour la filière, ce ne sera pas catastrophique. On a connu des années plus rudes soit à cause d’une sécheresse plus marquée soit à cause de panne ou de travaux. La plupart des exploitants ont une gestion prudente et mettent en œuvre des mesures pour limiter les risques techniques et économiques.

Le risque est de cumuler plusieurs saisons sèches. Comme toute société, nous avons des charges fixes, et pour pouvoir les payer, il nous faut des recettes, qui se gagnent grâce au fonctionnement optimal de nos centrales. Un arrêt trop prolongé engendre un risque de grippage mécanique ou de fragilisation des parties électriques avec des surcoûts de réparation le cas échéant.  Quoiqu’il en soit, la filière s’est professionnalisée pour produire avec son temps et en prévision des incertitudes de demain.

Timothé Linard

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