Depuis 2014, le festival Haizebegi - Art, Science, Société fait vibrer le Pays Basque à l’automne. Plus qu’un rendez-vous musical, il est un laboratoire vivant, où artistes, chercheurs, publics et citoyens s’accordent autour d’une conviction : la musique est un instrument pour fabriquer du monde. Conçu par l’ethnologue et directeur de recherche au CNRS Denis Laborde, l’événement refuse la facilité du divertissement pour lui préférer la profondeur du partage. Comme il aime à le rappeler : « Haizebegi n’est pas un festival de musique, c’est un festival sur les mondes de la musique. »
En basque, haize signifie le vent, begi le regard. Haizebegi, c’est donc le “regard du vent”, un souffle qui traverse les frontières et ouvre les consciences. Chaque année, l’événement réunit près de 3 000 spectateurs autour de concerts, films, conférences et ateliers, tout en tissant des ponts entre le Pays Basque et des horizons aussi lointains que la Colombie, l’Arctique, Madagascar ou la Patagonie.
Mais au-delà de son foisonnement, l’édition 2025 qui aura lieu du 9 au 19 octobre, met en lumière trois rendez-vous qui sonnent déjà comme des temps forts inoubliables : les Bauls du Bengale, le projet MusiKautisme, et la performance Gathering de Samar Haddad King.
Les Bauls du Bengale : une première européenne
Le 18 octobre au Théâtre de Quintaou d’Anglet, ce sera une première historique : l’arrivée en Europe des Bauls du Bengale, musiciens mystiques indiens porteurs d’une tradition spirituelle et poétique plusieurs fois centenaire. Héritiers d’une culture orale profondément ancrée dans la ruralité du Bengale, les Bauls chantent l’amour universel, la quête intérieure et l’égalité des êtres humains.
Pionnière de l’utilisation de la culture comme moteur de développement social, depuis 25 ans, cette organisation a mobilisé plus de 60 000 porteurs de traditions à travers l’Inde, réduisant la pauvreté et favorisant l’autonomisation des femmes et des jeunes par les arts. Leur modèle « Art for Life » est désormais reconnu mondialement, étudié à Harvard et même retenu comme exemple à l’Exposition universelle d’Osaka 2025.
À Anglet, les Bauls feront entendre leurs chants hypnotiques, accompagnés d’instruments traditionnels comme l’ektara, le dotara ou le khamak. Mais au-delà du concert, ils participeront à un colloque international placé sous le parrainage de l’UNESCO pour interroger le rôle des pratiques culturelles dans un développement inclusif et durable. Entre musique et sciences sociales, la question reste au diapason des ambitions de Haizebegi : comment l’art peut-il nourrir la cohésion sociale et préserver les écosystèmes culturels ?
Ce sera sans doute l’un des sommets de l’édition : une musique qui ne se contente pas de séduire l’oreille, mais qui inspire une autre manière de penser la société.
MusiKautisme : quand l’inclusion joue sa partition
Deuxième rendez-vous incontournable : MusiKautisme, projet novateur créé par Haizebegi en 2020. Son objectif ? Explorer le lien entre musique et autisme, non pas comme une thérapie, mais comme une rencontre. Adossé au CNRS, MusiKautisme est devenu un programme international, associant chercheurs, musiciens et familles pour mieux comprendre comment la musique peut ouvrir des espaces de communication et d’expression pour les personnes autistes.
En 2025, plusieurs temps forts viendront nourrir ce projet. Les 10 et 11 octobre, le cinéma Itsas Mendi d’Urrugne accueillera des projections autour de cette thématique, suivies d’échanges avec des chercheurs et des familles. Une journée entière de débats à Bayonne donnera également la parole aux scientifiques et aux praticiens pour interroger les multiples facettes de ce croisement entre art et neurodiversité.
MusiKautisme s’inscrit dans une dynamique chère au festival : donner voix à ceux qu’on entend trop peu, créer des espaces où la différence est perçue comme une richesse. Dans un monde qui peine encore à inclure, Haizebegi choisit d’accorder une place pleine et entière aux personnes autistes, en leur permettant de partager leurs expériences, et surtout de montrer que la musique peut être ce langage universel qui relie au-delà des mots.
Gathering : une partition collective et immersive
Le troisième temps fort prend la forme d’une expérience scénique et participative : Gathering, imaginée par la chorégraphe Samar Haddad King, Palestino-Américaine à la tête de la compagnie Yaa Samar! Dance Theatre. Présentée le 14 octobre à Anglet en partenariat avec la Scène nationale du Sud-Aquitain, cette performance hybride est à la fois une œuvre chorégraphique, un concert live et une expérience immersive.
Sur scène, sept artistes venus du Japon, de Palestine, de Turquie ou des États-Unis dialogueront avec six artistes locaux. Ensemble, ils mettront en mouvement une histoire fictive : celle d’un village assiégé et de la lutte d’une femme pour réconcilier ses souvenirs fragmentés. La musique, entre Vivaldi revisité par Max Richter et compositions originales, sert de fil conducteur à cette fresque collective.
Mais Gathering ne s’arrête pas aux frontières de la scène. Le public est invité à participer, à devenir témoin ou acteur de l’action. Chaque représentation est unique, façonnée par les artistes locaux et par l’énergie de la salle. L’objectif est clair : briser les frontières traditionnelles de la performance, et prouver que la musique et la danse peuvent être des outils de résistance, de mémoire et de lien.
Haizebegi, la musique comme boussole sociale
En filigrane de ces trois temps forts, Haizebegi continue d’incarner un pari rare dans le paysage culturel : celui d’un festival qui ne cherche pas à divertir, mais à intéresser, interroger et transformer. Depuis ses débuts, il a donné la parole aux chants inuits, aux traditions d’Afrique du Nord, aux voix d’Amérique latine ou aux exils du Moyen-Orient. Il a publié chaque année un Livre du Festival, pérennisé un stage audiovisuel avec le BTS de Biarritz, organisé plus de 120 concerts et 230 conférences.
Son directeur Denis Laborde aime à rappeler une conviction : « La philanthropie mobilise des richesses générées par l’entreprise pour créer de la valeur sociale. » C’est cette valeur que Haizebegi cherche à cultiver, en faisant du Pays Basque un carrefour d’idées, un lieu où la musique devient autant un miroir qu’un outil de transformation.
En 2025, plus que jamais, Haizebegi propose d’écouter autrement. Écouter la voix mystique des Bauls, écouter les échos singuliers de l’autisme à travers la musique, écouter l’appel de Samar Haddad King à se rassembler, malgré les fractures du monde.
Au fond, Haizebegi n’est pas seulement un festival : c’est une partition collective, écrite à plusieurs mains, qui nous rappelle que la musique est une langue universelle, capable de franchir les murs et de retisser les liens. Et si l’on tend bien l’oreille, on y entend ce vent, ce haize, qui porte témoignage.
Sébastien Soumagnas
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