Relayée par tous les médias, l’opération de communication « coup de poing » de la Confédération générale de Roquefort n’est pas la première prise de position du genre, mais elle devrait faire date alors que le nutri-score, mis en place en 2016 et jusqu’ici facultatif, pourrait devenir obligatoire l’an prochain.
De nombreux producteurs et agroindustriels s’étaient évidemment déjà positionnés contre le système d’évaluation et d’étiquetage à cinq lettres (et autant de couleurs). En mai dernier, les dirigeants de l’Irqualim (Institut régional de la qualité agroalimentaire d’Occitanie) pointaient du doigt « un système à code couleur simplifié à l’extrême qui ne prend pas en compte la notion de portion alimentaire ingérée et sa contribution à l’équilibre alimentaire journalier. Tout est calculé sur la base de 100g/100ml. Mais qui pourrait manger, d’un seul coup, un pot entier de miel des Cévennes (IGP) même s’il est très bon ? Personne ». Et ils notaient un certain nombre de petites injustices comme ce soda light avec édulcorants noté B à côté d’un jus de pommes bio fermier noté C.
Franches oppositions…
Pire : en France, où la consommation de produits laitiers est encore encouragée, 90% des fromages commercialisés auraient un nutri-score de D ou E. D’où le ras-le-bol des producteurs aveyronnais de Roquefort AOP, soutenus par le groupe Lactalis (opposé de longue date au nutri-score, à l’image de groupes comme Coca-cola, Mondelez et Unilever) et par de nombreux élus comme Carole Delga ou le député Stéphane Mazars.
« Des produits industriels ultra transformés avec des conservateurs peuvent avoir A ou B, alors que nos produits de terroir très naturels sont stigmatisés », a ainsi résumé Sébastien Vignette, secrétaire général de la Confédération du roquefort, alors que depuis deux ans, la réglementation se durcit autour du nutri-score, désormais obligatoire dans les annonces publicitaires (du moins pour ceux qui ne s’acquitteraient pas d’une contribution à Santé Publique France).
Bref, le système, qui semblait au départ prévu pour éviter certaines dérives des produits transformés de l’agro-industrie, pénalise les producteurs de fromages AOP. Le secrétaire général note que l’intérêt nutritionnel du roquefort (protéines, calcium et micronutriments) n’est pas plus pris en compte dans ce nutri-score que l’absence d’additifs ou le mode de production.
D’autres producteurs de fromages, comme la Fromagerie des Cévennes (Pélardon AOP), s’étaient déjà inquiétés de cette situation. Au-delà, le constat est le même pour de nombreux producteurs de viandes et de charcuterie. Tous réclament une évolution du calcul du score, ou à défaut une dérogation pour les produits AOP, dont la recette ne peut évoluer puisque soumise à un strict cahier des charges. Bien entendu, le sujet est tout aussi sensible dans les Pays de l’Adour, où la cuisine est traditionnellement riche et où les producteurs concernés sont fort nombreux. Pour le coup, il y a peut-être de quoi en faire tout un fromage…
De son côté, Santé Publique France affirme que 90% des consommateurs plébiscitent le nutri-score. Et c’est sans doute ce qui crée cette tension parmi les producteurs. Les études menées sur le sujet montrent en effet que les ventes de produits notés A et B augmentent et que celles des produits C, D voire E diminuent structurellement. De quoi expliquer certains revirements de grands groupes ayant finalement adopté le nutri-score, à l’exemple de Nestlé ou McDonald’s. Toutes les marques de distributeurs y recourent également. Préconisé par la commission européenne et l’OMS, le nutri-score n’est pas répandu qu’en France : nos voisins allemands, espagnols et belges y recourent massivement.
Le cas Yuka…
On ajoutera au passage que l’actualité de ces derniers mois a aussi été marquée par les condamnations en première instance de l’application Yuka, autre outil de scoring utilisé par plus de 20 millions de personnes. Attaquée pour « dénigrement » et « pratiques commerciales trompeuses » par la fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT), l’appli de notation a fait appel de toutes les décisions la concernant.
Concrètement, l’industrie charcutière reprochait à Yuka de verser dans le militantisme anti-nitrites. La jeune entreprise, avec Foodwatch et la Ligue contre le cancer, avait lancé une pétition demandant l’interdiction de l’antioxydant et proposé de la signer à tout utilisateur scannant un produit qui en contenait. Sur le fond, la question de la nocivité des doses de nitrites ne semble pas complètement tranchée, car des deux côtés, on semble en mesure de s’appuyer sur des études scientifiques ou des recommandations officielles. Ainsi, la société Yuka considère qu’elle est dans son bon droit et invoque les alertes et classements de l’OMS.
Plus qu’à espérer qu’avec tout cela, le législateur s’empare du sujet de manière dépassionnée… Car au-delà des injustices éprouvées par certaines filières, ces systèmes de scoring ont malgré tout été mis en place pour faire face à des enjeux de santé publique et, en quelque sorte, constituer un contre-pouvoir face à certaines dérives de l’agro-industrie.
Au milieu de cette guerre ouverte un peu triste qui se dessine entre d’un côté les producteurs et les industriels, et de l’autre les promoteurs des outils de notation, les consommateurs sont évidemment appelés à jouer les arbitres. Or il est vrai que la notation est souvent prise par ces derniers au pied de la lettre et mériterait peut-être davantage de pédagogie.
Oui, le roquefort à ses vertus, pourvu que comme de tout le reste, on n’en abuse point ! De la mesure en toute chose, disaient les maîtres…
Plus d’informations sur le site de l’Irqualim
Réagissez à cet article
Vous devez être connecté(e) pour poster un commentaire