De Bordeaux à Gavarnie en passant par les Landes et le Pays basque, Victor Hugo promène son regard en Gascogne, entre « choses vues », réflexions profondes et séances de dessin. Et en rend compte avec ce style bien à lui qui a fait sa gloire.
Au cœur du XIXe, le voyage aux Pyrénées, avec son passage par les Landes et le Pays basque et son inévitable incursion en Espagne, est un sport littéraire national. La plupart de nos grands écrivains ont fait le déplacement. On vous avait déjà parlé des notes de voyage de Stendhal, de Flaubert et de Taine, respectivement passés par là en 1838, 1840 et 1854. On pourrait en citer d’autres, moins connus, comme Jean-Pierre Picquet (1789), Augustin Pyramus de Candolle (1807), Jacques-Louis Lacour (1834), Alphonse d'Augerot (1856) ou encore Jules Leclercq (1882).
La liste serait trop longue, mais l’on se devait évidemment d’y ajouter Victor Hugo (1802-1885), certainement le plus célèbre des écrivains français.
Hugo voyagea incognito dans la région (de Bordeaux à Gavarnie via le Pays basque) pendant l’été de 1843, avec sa maîtresse Juliette Drouet. Il prit des notes sous la forme de lettres à un destinataire imaginaire, qu’il accompagne de croquis pris sur le vif. Le grand auteur projetait sans doute quelque publication, mais ce projet fut arrêté par une nouvelle tragique, apprise en remontant à Paris : le décès tragique de sa fille Léopoldine, morte noyée dans la Seine avec son époux Charles Vacquerie. Résultat : ces notes de voyage ne seront pas publiées du vivant d’Hugo, mais en 1890, sous le titre « Alpes et Pyrénées ».
Du Victor Hugo pur jus…
On l’a déjà dit : les notes de voyage sont toujours un excellent moyen d’accéder à « l’esprit » de leurs auteurs et de partager leur intimité. Outre que l’on retrouvera dans celles-ci le style caractéristique d’Hugo, on saisira mieux l’homme, ici dans sa condition de touriste en observation. Cette lecture fera donc un parfait complément aux « Choses vues », l’autre grande publication posthume de textes d’Hugo.
C’est bien l’auteur des Misérables qui nous décrit par exemple les Landes : « Point de villages, mais d’intervalle en intervalle deux ou trois maisons à grands toits, couvertes de tuiles creuses à la mode d’Espagne et abritées sous des bouquets de chênes et de châtaigniers. Parfois le paysage devient plus âpre, les pins se perdent à l’horizon, tout est bruyère ou sable ; quelques chaumières basses, enfouies sous une sorte de fourrure de fougères sèches appliquées au mur, apparaissent çà et là, puis on ne les voit plus, et l’on ne rencontre plus rien au bord de la route que la hutte de terre d’un cantonnier et, par instants, un large cercle de gazon brûlé et de cendre noire indiquant la place d’un feu nocturne ».
À l’époque de son voyage, côté espagnol, le contexte est encore aux guerres carlistes. En approchant de Mont-de-Marsan, Hugo voit les routes couvertes de réfugiés espagnols. Sur une charrette, il aperçoit une jeune paysanne avec un joli chapeau, et s’exclame, avec ce sens si reconnaissable de la formule : « Qu’est-ce que c’est donc qu’une politique qui a des coups de vent capables de chasser de son pays une pauvre jolie fille si bien coiffée ? » Il passe par Biarritz, « lieu admirable » qu’il compare au Tréport ou à Étretat en s’inquiétant, à le voir encore « si agreste, si rustique et si honnête », qu’il ne soit « bientôt pris du mauvais appétit de l’argent ». Instructif…
Coup de cœur pour Pasajes…
Hugo passe ensuite en Espagne, s’amusant de ce qu’il n’y ait plus de faisans sur la fameuse île du nom : « C’est la règle générale. À Paris, au Marais, il n’y a pas de marais ; rue des Trois-Pavillons, il n’y a pas de pavillons », etc. Encore une fois du Victor Hugo pur jus. L’écrivain retrouve l’Hernani déjà parcouru dans son enfance et qui lui a fourni le nom d’un de ses personnages les plus célèbres. Comme souvent dans les notes de voyage, on suit autant le voyageur dans ses descriptions paysagères ou des populations que dans les réflexions plus profondes suggérées par ce qu’il voit.
Ici, le grand auteur pousse jusqu’à Saint-Sébastien. Et ce cher Hugo, qui a sa bonne opinion de lui-même, cultive sa différence, préférant séjourner dans une vieille demeure de « Pasages » (aujourd’hui Pasaia/Pasajes) que dans la capitale du Guipuscoa, petit caprice d’esthète émerveillé : « Est-on chez des paysans ? Est-on chez des grands seigneurs ? Est-on en Suisse ou en Castille ? N’est-ce pas un endroit unique au monde que ce petit coin de l’Espagne où l’histoire et la nature se rencontrent et construisent chacune d’un côté de la même ville ; la nature avec ce qu’elle a de plus gracieux, l’histoire avec ce qu’elle a de plus sinistre ». Toujours ce sens de la formule : c’est bien le Victor Hugo que ses admirateurs vénèrent… et qui en agace quand même quelques-uns.
Depuis leur première publication, ces notes sont régulièrement rééditées, et en particulier leur volet pyrénéen. On signalera en particulier la belle réédition proposée en 2014 par les Éditions Cairn, illustrée par les dessins d’Hugo et augmentée du journal tenu en même temps par Juliette Drouet, le tout éclairé par une intéressante introduction d’Anne Lasserre-Vergne, dont le livre sur les « Pyrénées au temps de Victor Hugo » (2012) a été réédité en avril de cette année. Pour ceux qui aimeraient savoir à quoi le grand écrivain songeait en se promenant sous nos latitudes…
Le « Voyage aux Pyrénées » d’Hugo, aux Éditions Cairn – cliquez ici
Ouvrage d’Anne Lasserre-Vergne - cliquez ici
Lire en ligne « Alpes et Pyrénées » - cliquez ici
Pour parcourir directement le carnet de voyage de Victor Hugo, c’est ici
Déjà paru cet été
- « Chez nous » avec Joseph de Pesquidoux – cliquez ici
- « Le Capitaine Fracasse » avec Théophile Gautier – cliquez ici
- « Mouti, chat de Paris » et Charles Derennes – cliquez ici
- « Maître Pierre » et Edmond About – cliquez ici
- « Jean le Basque » et Joseph Peyré – cliquez ici
- « Luis » et Pierre Lhande - cliquez ici
Pour relire les cahiers de vacances de l’été 2020
- Eugène Casalis et ses Souvenirs – cliquez ici
- Alexandre Dumas et Les trois mousquetaires – cliquez ici
- Gustave Flaubert, des Pyrénées à la Corse – cliquez ici
- Jean-Louis Curtis et Les Forêts de la nuit – cliquez ici
- Stendhal et son Voyage dans le Midi – cliquez ici
- Angelo de Sorr et Les Pinadas – cliquez ici
- Francis Jammes et Pipe, chien – cliquez ici
- Paul Margueritte, Sous les pins tranquilles – cliquez ici
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