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DÉCRYPTAGELa baguette de pain entre au patrimoine immatériel de l’humanité. Mais…

Aujourd’hui dans notre hexagone, on vend environ 30 millions de baguettes chaque jour. Auxquelles il faut ajouter bâtard, pain de campagne, pain complet, ficelle et boule. Le pain est un incontournable pour 87 % des Français, dont 52% en mangent plusieurs fois par jour, mais la crise actuelle le met en danger…
Photo de deux baguettes de pain

Si, comme l’affirmait le bon Alexandre Vialatte dans ses « Chroniques de la montagne », « l’homme remonte à la plus haute antiquité », on doit revenir au XVIIIe siècle pour constater en France l’apparition de la baguette de pain, conçue alors sous l’apparence de pains de près de deux mètres, longs et larges. On en trouve trace ensuite dans les campagnes napoléoniennes, sous forme de pains ronds que les grognards plaçaient dans la poche arrière de leur habit, ce qui est plus commode qu’une longue baguette située dans les guêtres, gênante à la marche. À moins, autre théorie, qu’elle ait été inventée par August Zang, en 1839 à Vienne (d’où le nom de viennoiserie) en sa Boulangerie viennoise.

Quoique nous ayons une préférence pour une troisième version, ayant pour cadre la construction du métro parisien. Parmi les ouvriers, nombreuses étaient en effet les bagarres dans les tunnels entre originaires de différentes régions (Bretons, Auvergnats, Jurassiens, etc.) Et chacun portait alors sur lui un couteau pour couper des tranches de pain, de grosses miches rondes, qui pouvait servir à l’occasion pour trucider un gêneur. D’où l’idée de leur fournir un pain de forme allongée, que l’on puisse rompre à la main, sans sortir la rapière, évitant ainsi d’éventuels massacres. De là vient peut-être la tradition de ne jamais couper la baguette au couteau…

Aujourd’hui dans notre hexagone, on vend environ 30 millions de baguettes chaque jour. Auxquelles il faut ajouter bâtard, pain de campagne, pain complet, ficelle et boule. Le pain est un incontournable pour 87 % des Français, dont 52% en mangent plusieurs fois par jour. Ils étaient néanmoins 62 % en 2015… La tendance va vers le pain surgelé, pour 60 % des consommateurs, une habitude accentuée par la période de confinement que nous avons endurée.

Et donc, voici que notre emblème national vient d’être consacré par l’Unesco, qui l’a préféré au raï algérien, au luth d’Asie centrale et à l’harissa tunisienne, en l’inscrivant au patrimoine immatériel de l’humanité. Une consécration pour notre savoir-faire artisanal et la culture baguettesque. Ainsi que s’en félicite Dominique Anract, le président de la Confédération nationale de la boulangerie, « c’est une reconnaissance pour la communauté des artisans-boulangers (…) La baguette, c’est de la farine, de l’eau, du sel, de la levure et le savoir-faire de l’artisan. » Il aurait pu ajouter, telle Audrey Azoulay, la Dg de l’Unesco, que le choix de la baguette « souligne qu’une pratique alimentaire peut constituer un patrimoine à part entière, qui nous aide à faire société. » En fait de faire société, elle est surtout une source de petits bonheurs bon marché, « 250 grammes de plaisir et de perfection », comme le souligne avec justesse Emmanuel Macron.

Paradoxalement, cette consécration survient alors que la boulange est en crise. La presse régionale regorge d’infos annonçant les fermetures de boutiques, pour cause de factures d’électricité souvent multipliées par cinq, et de hausse des matières premières (œufs, lait, farine). Or, sur nos 33 000 boulangeries, les deux-tiers ne bénéficient pas du bouclier tarifaire, leurs besoins en puissance au compteur étant généralement double des 36 kVA requis. Certains cherchent des solutions, comme faire cuire le pain le matin et supprimer la fournée de l’après-midi. D’autres mettent carrément la clef sous la porte et il semblerait que faute de subsides, le mouvement soit hélas irréversible.

Passons outre, puisque notre baguette a rejoint quelques fiertés nationales, au nombre de 23, comme le Cantu in paghjella profane et liturgique de Corse, la tapisserie d’Aubusson, la tradition du tracé dans la charpente française, le compagnonnage, la dentelle au point d’Alençon, l’équitation de tradition française, le fest-noz breton, les fêtes du feu du solstice d’été dans les Pyrénées, le carnaval de Granville, la fauconnerie, la construction en pierres sèches, le parfum en Pays de Grasse, et l’alpinisme. Ou encore le repas gastronomique des Français, célébrant « l’art de bien manger et de bien boire ». Il est vrai qu’un repas sans baguette… Voilà l’impair réparé, merci bien.

Dominique Padovani

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