Amis complotistes, chercheurs, amateurs de mystères insondables, investigateurs du pied dans la chaussette, il est temps de vous pencher sur le phénomène mal expliqué et pourtant éprouvé par toutes et tous, j’ai nommé le SCO, ou Syndrome de la Chaussette Orpheline. Et comme c’est un problème international, nos amis d’Outre-Atlantique aussi lui ont donné son petit nom : Missing Sock Disorder Syndrom.
Celui qui ne l’a pas constaté au moins une fois dans sa vie, avoue clairement qu’il n’a jamais, au grand jamais fait tourner une machine à laver, et puis c’est tout. Sinon, la scène est immuable : des têtes à l’intérieur du tambour, et des grognements « mais putain, où elle est passée ? J’avais pourtant noué les deux, ensemble ! »
Comme de nos jours on fait des études sur tout, il est même prouvé scientifiquement que ce sont près de 15 chaussettes qui disparaissent par an et par famille. Rapporté à l’échelle d’une vie entière, ça représente la bagatelle de 1.000 chaussettes ! Volatilisées dans la nature, avalées par le big trou noir de nos modernes lave-linges. Dans un monde ultra rationnel, organisé jusqu’à l’outrance, le syndrome fait émerger les mots de paranormal et magique.
Tout, on entend tout : trou noir et univers parallèle, lutins farceurs, divinités du linge, calamités textiles… Certains verraient même les chaussettes dotées d’une conscience qui les pousserait à fomenter longuement leur plan d’évasion avant de l’exécuter dans la machine à laver, Alcatraz des temps modernes.
Hormis les attacher avec une épingle à nourrice, les enfermer dans un sac de lavage, ou je ne sais quel autre saugrenu stratagème, l’unique solution : acheter les mêmes chaussettes par lot de 10. Grises de préférence puisqu’entre lavages répétés et mélanges des blanches avec les vêtements rouges, bleus ou noirs, c’est la triste couleur à laquelle elles aboutiront de toute façon. Mais que c’est déprimant ! Adieu les chaussettes rigolotes et colorées, l’uniformisation par le paranormal, avouez que vous n’y aviez pas pensé. À Paris, une association des chaussettes orphelines a même vu le jour, qui recycle les solitaires pour en faire du fil… Ou, non loin de Lille, Sock en Stock, pour la même démarche. Sur les marchés, certains les vendent par trois… Un lot de trois ? Un trio de chaussettes ? Quand le mystère insondable devient technique de marketing…
Car si tous les regards se tournent vers la mystérieuse, la disparue, on ne parle que trop peu de la tristesse (la dépression ?) de celle qui reste là, abandonnée, té, comme une vieille chaussette !
En 2019, le regretté Jean-Pierre Pernaut y a même consacré un sujet de TF1, pas moins.
Enfin, THE solution, en passe de devenir une mode : porter des chaussettes dépareillées. Mon adolescente de fille alors, fut, à l’insu de son plein gré, une lanceuse de tendances qui privilégia cette façon de procéder, et j’avoue que ma rigoriste éducation judéo-chrétienne eut du mal à s’y faire. C’était toujours la même remarque quand elle venait obtenir sa VDS (Validation de tenue de sortie) : « très joli, ma chérie, mais c’est normal que tu portes une chaussette rouge et une bleue ? » À quoi, l’on me faisait comprendre avec de doux euphémismes en réponse suave que j’étais une vieille réac’ bigrement conventionnelle…
Mais devant un grand mystère de l’Humanité, finalement, le mieux n’est-il pas d’adopter une sage résilience ? C’est pourquoi les chaussettes survivantes se taisent, jetées au fond de nos armoires, le moral dans la chaussette (chuut, je sais bien que normalement c’est au pluriel, mais tu ne crois pas que c’est assez dur comme ça pour elle ?) espérant pour l’éternité que leur jumelle revienne. Alors en fait, la vraie question n’est pas où est passée cette putain de chaussette, mais bien si celle qui reste est une vraie résiliente ou une dépressive qui s’assume… Sujet de philo, vous avez trois heures…
Gracianne Hastoy, retournée comme une chaussette
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