Sous les voûtes du couvoir d’Aignan, dans le Gers, un bruit discret remplace désormais le piaillement des couvées : celui d’un robot d’un nouveau genre, capable de « lire » le futur d’un œuf avant même qu’il ne se fende. Vendredi 19 septembre, plus de 120 invités, élus, représentants de la filière et partenaires, ont assisté à l’inauguration officielle du système de sexage in ovo, un dispositif inédit en France pour la filière canard.
Derrière cette prouesse se cache Sud-Ouest Accouvage, filiale des coopératives Maïsadour, Vivadour et CAVAC, qui travaille depuis près de dix ans à cette innovation. L’objectif : pouvoir déterminer, avant éclosion, si un caneton sera mâle ou femelle. Dans la filière foie gras, seuls les mâles sont valorisés, les femelles n’ayant pas de débouché commercial. Jusqu’à présent, cette distinction s’effectuait après la naissance, une pratique que le secteur souhaite faire évoluer pour des raisons éthiques.
La coquille à la loupe
« C’est en observant l’œuf à différents stades de développement qu’on s’est aperçu qu’on arrivait à voir l’œil du futur canard à travers la coquille entre le 8e et le 11e jour d’incubation », explique Céline Mazé, directrice accouvage palmipèdes. Un détail minuscule, mais déterminant : les mâles ont l’œil noir, les femelles un œil plus clair.
Cette découverte a ouvert la voie à un projet technologique inédit. En partenariat avec Ovalie Innovation et le CEA Tech de Bordeaux, les ingénieurs ont intégré un système de caméras à haute précision couplées à une intelligence artificielle capable d’analyser automatiquement chaque œuf. La société SMI IA, installée dans les Landes, a ensuite conçu la machine finale, fruit d’un investissement total de 4,8 millions d’euros, dont 40 % pour la conception du robot et 60 % pour l’agrandissement du site d’Aignan.
À pleine cadence, le robot peut analyser 90 000 œufs par jour, à raison de 20 000 œufs par heure, avec un taux de fiabilité de 95 %. Une performance qui fait d’Aignan un site pilote pour l’ensemble de la filière palmipède. « Nous avons longuement travaillé pour identifier le sexe de l’animal au plus tôt. C’est en observant l’œil au travers de la coquille que nous avons trouvé un critère fiable. Ensuite, tout l’enjeu a été de fiabiliser sa détection grâce à l’IA et à l’analyse d’image. C’est une révolution dans notre métier d’accouveur », précise Céline Mazé.
Outre la précision du tri, le robot présente un avantage majeur : il réduit considérablement les manipulations humaines. Moins de gestes répétés, moins de risques de casse et de stress pour les œufs : la technologie soulage à la fois les équipes et les embryons. Pour Jérémy Thorignac, responsable du site d’Aignan, cette innovation est une étape charnière : « Le couvoir d’Aignan, c’est une équipe de 30 personnes, 4 éclosions par semaine, entre 65 000 et 90 000 œufs traités chaque jour, pour un total de 6 millions de canetons par an. Les canetons que nous faisons naître sont ensuite livrés chez 600 éleveurs, dans 6 régions et 33 départements. Grâce à ce robot, nous prenons une vraie avance sur les questions de bien-être animal. »
L’investissement s’inscrit dans une vision à long terme. L’interprofession du foie gras prévoit de rendre le sexage in ovo obligatoire d’ici 2030. Sud-Ouest Accouvage prend donc une longueur d’avance, tout en consolidant son ancrage local et son image d’entreprise responsable.
Du couvoir à la filière : l’œuf du renouveau
L’enjeu dépasse le simple cadre technique. Le sexage in ovo est aussi un signal fort envoyé à la société, soucieuse du sort des animaux d’élevage. « Ce robot est bien plus qu’un outil industriel. Il représente une étape majeure dans la mise en œuvre de notre politique de bien-être animal. Il incarne parfaitement notre vision d’un élevage responsable, tourné vers l’avenir », souligne Émilie Lassabe, responsable Qualité et Bien-être animal chez Maïsadour.
Cette approche s’inscrit dans la stratégie AMBiTiON 2030 du groupe coopératif, qui vise à promouvoir des pratiques d’élevage plus durables, du couvoir à la ferme. Le robot d’Aignan devient ainsi le symbole concret d’une transition déjà engagée dans la filière.
Cette avancée illustre aussi la force du collectif coopératif. Chez Vivadour, la nouvelle est accueillie comme un maillon essentiel d’une chaîne désormais intégrée. « Cette avancée technologique conforte Vivadour dans la maîtrise totale de sa filière foie gras durable sous Identification Géographique Protégée GERS, avec tous les maillons de la filière réunis dans un même département : de la cane reproductrice à la verrine de foie gras », précise Jérôme Candau, directeur du pôle agricole et agroalimentaire du groupe.
Même son de cloche à la CAVAC, autre pilier du projet. « L’ovosexage est un outil qui va nous permettre de répondre à une partie des attentes sociétales en termes de bien-être animal. Le bien-être animal est un axe majeur de la politique Positiv 2030 de la CAVAC. Au quotidien, le bien-être des animaux et des hommes fait partie de l’ADN CAVAC. Ce robot s’inscrit totalement dans notre vision de l’élevage de demain », affirme Olivier Brebion, responsable de l’OP Val de Sèvre.
Inauguré en septembre 2025, le robot d’Aignan n’est pas seulement une vitrine de technologie : il est aussi le fruit d’un ancrage territorial fort. Situé au cœur du Gers, le couvoir bénéficie d’un environnement coopératif dynamique et d’un réseau d’éleveurs engagés. Avec son robot de sexage in ovo, Sud-Ouest Accouvage, en mêlant technologie, éthique et coopération, montre que la modernité peut s’accorder avec le respect du vivant.
Sébastien Soumagnas
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