Parmi les entreprises françaises les plus directement concernées par le conflit russo-ukrainien, nos deux grands groupes coopératifs d’Adour, à savoir Euralis et Maïsadour, ne sont pas des moindres. Maïsadour, d’abord, est présent dans ces deux pays depuis une quinzaine d’années. En Ukraine, la coopérative dispose d’une usine de production de semences hybrides à Dnipropetrovsk (aujourd’hui Dnipro, maïs et tournesol), l’une des premières créées localement par un acteur occidental, ainsi que d’un centre de R&D à Kiev, inauguré en 2018, le tout opérant sous la bannière de sa filiale Mas Seeds.
Sur place, les activités de celle-ci ont été interrompues dès le début du conflit, avec pour principal objectif d’assurer la sécurité des salariés de la région. « Cela a toujours été et reste notre priorité absolue », avait déclaré la coopérative quelques jours après le début des hostilités. « Nous avons décidé de participer à la campagne de dons organisée par la Croix Rouge pour soutenir le travail humanitaire dans le pays », a-t-elle ajouté.
Sur place, l’activité aurait cependant partiellement repris ce 25 mars. En Ukraine, Maïsadour génèrerait un chiffre d’affaires de quelques dizaines de millions d’euros (20 millions en 2018), avec plusieurs milliers d’hectares en contrat de multiplication de semences.
Semences… et alimentation animale
Désormais implantée à Voronej (à 470 km au sud de Moscou) avec sa nouvelle usine russe de semences, Euralis est, elle aussi, présente en Ukraine, à Tcherkassy, à 200 km de Kiev, où elle a suspendu ses activités et son site de production, près duquel sont cultivés 5.000 hectares de ces riches terres noires qui ont fait de l’Ukraine un eldorado pour nos coopératives. Les expatriés et leurs familles sont rentrés en France. La direction d’Euralis avait été reçue début mars à l’Elysée, avec une quinzaine de dirigeants de grands groupes français, pour une réunion de crise en lien avec le conflit. On rappelle qu’Euralis Semences est désormais uni à Caussade : tous deux se sont fondus dans le nouvel ensemble Lidea.
Première difficulté pour les deux acteurs en tant que semenciers, au-delà du seul risque de destruction des installations : les semis du printemps, qui ne pourront vraisemblablement pas être effectués, sinon dans de mauvaises conditions. Cela devrait engendrer de futures pertes sèches. Même si la survie de nos coopératives est loin d’être menacée, c’est tout de même un coup dur, cette zone russo-ukrainienne représentant pour les deux groupes un relais de croissance non négligeable.
Et bien sûr, même si ces semences sont destinées aux marchés locaux, cela engendrera tout de même des tensions sur les autres sources d’approvisionnement, et donc sur les prix, au détriment du secteur agricole lui-même s’il ne les répercute pas dans les délais appropriés, avec des effets sur la consommation qui resteront à déterminer.
L’autre problème touche à l’approvisionnement en céréales, la zone de conflit étant souvent considérée comme le grenier à blé du monde (30% de la production mondiale), sans oublier la production d’orge, de maïs et de tournesol. Cela se ressentira de manière significative sur le segment de l’alimentation animale, autre pilier du modèle économique des coopératives d’ici. On pense évidemment aux élevages de canards et de volailles, même si 80% des matières premières utilisées seraient aujourd’hui d’origine nationale, une chance car la donne n’est pas la même partout en Europe (ce qui, au passage, ajoutera malgré tout à la forte tension actuelle sur les prix, car les autres pays chercheront à faire des réserves). Point de pénurie à craindre, donc, même si certains spécialistes soulignent qu’il nous faudra sans doute envisager des solutions de substitution pour certains produits comme le tourteau de tournesol ukrainien, dont nous importons par exemple 600.000 tonnes par an.
L’une des principales interrogations liées à cette crise est finalement de savoir comment cette forte hausse des coûts de l’alimentation animale sera absorbée par les groupes coopératifs qui, théoriquement, en tant que céréaliers, pourraient aussi voir l’envolée des cours tourner à leur profit.
Une situation tendue… et des inconnues
Le problème russo-ukrainien, enfin, a aussi sa dimension « logistique » : le trafic maritime est à l’arrêt en mer Noire et se pose donc le problème de l’acheminement de marchandises vers ou au départ des zones concernées, ainsi que celui des paiements. La situation affectera les coûts du transport (par exemple liés à l’immobilisation de navires), en sus des conséquences de la hausse des cours du brent, déjà sur une pente ascendante à cause de la reprise économique mondiale post-covid.
L’évolution du cours du pétrole brut a de même un effet « mécanique » sur celui des céréales. Et tout cela sans compter les effets des sanctions économiques prises par l’UE et les États-Unis contre la Russie, ni ceux des difficultés d’approvisionnement en énergie… Tous ces éléments auront leurs effets sur les coopératives, mais évidemment au même titre que sur les autres secteurs de l’économie. On n’oublie pas, quoiqu’il en soit, que ce conflit russo-ukrainien vient se greffer à une situation déjà tendue.
Dès lors, on voit que nos coopératives sont et seront touchées au niveau de leurs différents pôles d’activité, mais qu’elles sont quand même armées pour résister au choc. Comme du reste aux précédents. Reste à savoir dans quelles proportions ces groupes seront affectés à moyen ou long terme, mais cela dépendra évidemment de la durée du conflit… Quant à l’augmentation des cours des matières premières et des céréales, elle est apparemment partie pour durer, d’après les spécialistes. Il s’agira d’en tirer parti.
Pour finir, une dernière inconnue touche aux activités d’Euralis et de Maïsadour sur le territoire russe, à propos desquelles on en sait un peu moins : aucune des deux coopératives n’a encore communiqué clairement sur son arrêt ou son maintien, mais il n’est pas dit qu’à l’instar d’autres grands groupes, elles devront vraiment plier bagage. La nature particulière et le caractère stratégique de leurs activités sur place, en effet, inviterait plutôt à la prudence et à une position d’attente.
L’avenir nous dira ce qu’il en est réellement : plus qu’à croiser les doigts pour que le conflit s’apaise.
Réagissez à cet article
Vous devez être connecté(e) pour poster un commentaire