À la ferme Cabana, le secret de la transformation ne réside pas dans une baguette magique, mais dans un digesteur géant. Ce ventre métallique avale fumier, lisier et résidus végétaux pour les faire fermenter. Sous l’action des bactéries, ces matières organiques libèrent un gaz riche en méthane, prêt à être injecté dans le réseau de GRDF.
Pour Christian Dolheguy, c’est presque une réplique miniature de la nature, donnant pour exemple la reproduction de l’estomac d’une vache, transcrit à l’échelle industrielle. Le procédé, appelé méthanisation, permet non seulement d’obtenir du biogaz, mais aussi de recycler ce qui reste sous forme d’engrais naturels.
Chaque jour, près de 29 tonnes de déchets sont digérées dans ce réacteur écologique. Ce système n’a rien d’un caprice futuriste. Il repose sur un cycle bien connu des agriculteurs : rendre à la terre ce qu’elle donne.
Cultiver l’énergie verte
En 2021, les frères Dolheguy, Didier et Christian, ont investi 3,5 millions d’euros pour donner vie à ce projet, soutenus par des subventions de la Région Nouvelle-Aquitaine et de l’Ademe. Depuis, leur installation couvre 60 % des besoins en gaz des foyers du canton de Peyrehorade.
Mais ce n’est pas tout. Le digestat, résidu solide et liquide de la méthanisation, est épandu sur les 250 hectares de cultures de la ferme. Christian se félicite de ne plus mettre un centime dans les engrais chimiques. Et pour répondre à la demande du méthaniseur, les Dolheguy achètent même des déchets organiques à d’autres exploitations voisines.
La boucle est donc doublement vertueuse : production d’énergie propre d’un côté, fertilisation naturelle des sols de l’autre. Pour les deux frères, il s’agit autant d’une conviction écologique que d’une nécessité économique.
Récolter l’énergie et semer l’avenir
L’idée de la méthanisation a germé en 2019, alors que la ferme subissait de plein fouet la hausse des coûts de production et la perte de bétail liée à la tuberculose bovine. Selon les dires de Christian, la diversification des revenus était indispensable pour s'en sortir. Aujourd’hui, un tiers de leur chiffre d’affaires provient du biogaz. Ce modèle hybride — agriculture et production d’énergie — offre une nouvelle stabilité à l’exploitation. Il montre aussi la voie à d’autres agriculteurs confrontés aux mêmes défis.
En Nouvelle-Aquitaine, l’objectif est clair : produire 30 % de biogaz d’ici 2030. Actuellement, seuls 6 % des besoins sont couverts, ce qui laisse une marge de progression importante. Les Pyrénées-Atlantiques comptent huit unités de méthanisation, dont sept en Béarn. Avec son installation, la ferme Cabana fait figure de pionnière au Pays basque.
Pour Frédéric Soulier, directeur territorial de GRDF, le biogaz est une énergie d’avenir. En effet, tout comme le bois, il restitue le CO2 qu’il a absorbé pendant sa croissance. Son bilan carbone est donc très favorable. Une vision partagée par les frères Dolheguy, qui voient dans cette transition une façon de réconcilier agriculture et écologie.
Une philosophie agricole
Si la méthanisation est la vitrine la plus visible de leur engagement, elle ne résume pas à elle seule la philosophie des Dolheguy. Depuis 25 ans, ils pratiquent une agriculture raisonnée et autonome. Maïs, orge et fourrage sont produits sur place, séchés et conservés pour nourrir le bétail.
Les viandes transformées sous l’appellation « Terroir de Cabana » témoignent d’un savoir-faire familial transmis de génération en génération. Avec la méthanisation, la ferme ajoute une corde écologique à son arc en valorisant tout ce que la terre leur apporte.
À Came, la ferme Cabana incarne une nouvelle vision de l’agriculture : moins dépendante des fluctuations des marchés, plus respectueuse de l’environnement et capable d’innover sans renier ses racines.
En produisant 70 m³ de gaz par heure et en alimentant 4 500 foyers, l’exploitation prouve que le changement est possible, même en milieu rural. Pour Christian et Didier Dolheguy, ce n’est que le début. La prochaine étape ? Sensibiliser d’autres agriculteurs à ces pratiques et montrer qu’une ferme peut être à la fois nourricière et productrice d’énergie.
Ainsi, la ferme Cabana dessine un modèle agricole durable et innovant. Une énergie propre, une terre nourrie et des revenus diversifiés, telle est l'équation qui donne de l’énergie à revendre.
Sébastien Soumagnas
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