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    Une loi de régulation du foncier agricole examinée

    Discutée cette semaine à l’Assemblée, la proposition de loi du député bigourdan Jean-Bernard Sempastous vise à mieux contrôler les cessions de parts dans les sociétés agricoles...
    AGRICULTURE
    Cette proposition du député des Hautes-Pyrénées est soutenue par la FNSEA et les Chambres d’agriculture, mais rencontre tout de même l’opposition des socialistes et de diverses organisations, qui y voient un remède pire que le mal. Explications.

    Emmanuel Macron avait promis une « grande loi foncière agricole », mais les retards de calendrier occasionnés par la crise sanitaire semblent avoir eu raison de ce projet. Du moins avant la prochaine élection présidentielle… En attendant, les députés de la majorité ont tout de même planché sur un « texte d’urgence », discuté cette semaine à l’Assemblée nationale.

    Porté par le député Jean-Bernard Sempastous, il a pour objet l’amélioration du contrôle des cessions de parts dans les sociétés agricoles. Le but est de limiter la concentration des terres agricoles, notamment entre les mains d’investisseurs étrangers, plaçant l’enjeu de l’indépendance alimentaire du pays au centre des débats.

    On parle bien ici de parts dans les sociétés agricoles et non des cessions de terres elles-mêmes. Actuellement, les créations ou les agrandissements d’entreprises agricoles sont déjà contrôlées par les DDT (Directions départementales des Territoires) au-delà d’un certain seuil en termes de surfaces. Les cessions intégrales d’exploitations sont examinées par les Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), à l’exemple de celle, récente et emblématique, du Château Beauséjour à Saint-Émilion.

    Mais ces contrôles ne touchent que les exploitants des terres agricoles concernées, et non les investisseurs. La distinction est aujourd’hui cruciale, alors que comme l’a expliqué le député du 65, « les sociétés exploitent désormais en France près des deux tiers de la surface agricole utile ».

    Éviter la concentration des terres agricoles…

    Certes, ce format présente l’avantage de faciliter la transmission des exploitations. Mais le système actuel des sociétés n’empêcherait pas suffisamment la concentration des terres et la constitution de « méga-fermes ». Entre 1988 et 2016, le nombre d’exploitations en France a été divisé par plus de deux, passant d’un million à 450.000. Depuis 1955, la France a perdu 80% de ses agriculteurs : 150.000 d’entre eux prendront leur retraite dans les 10 ans qui viennent (la moitié des agriculteurs actuels sera à la retraite d’ici 2026). Le phénomène tendrait à s’accélérer, avec un volume de plus en plus important d’échanges et de cessions de parts.

    En 5 ans, de 2014 à 2019, le montant annuel des transactions de ce type a été multiplié par 9 : il dépasserait aujourd’hui le milliard d’euros. Pourtant, dans les trois quarts des cas, le transfert de parts ne s’effectue pas dans un cadre intrafamilial. Car l’appétit des investisseurs privés conduit dans le même temps à des hausses de prix qui rendent les terres moins accessibles pour les jeunes agriculteurs. On ajoute que le système aurait également des conséquences environnementales : la concentration des terres encouragerait la monoculture, avec un impact sur la richesse des sols et de la biodiversité.

    Le projet de loi examiné cette semaine prévoit donc de mieux contrôler les cessions de parts sociales en les soumettant, après l’examen de la Safer, à une autorisation préfectorale, là encore au-delà d’un certain seuil de surface (normalement deux ou 3 fois la surface agricole utile moyenne dans la région concernée, avec la possibilité d’ajuster ultérieurement ces définitions de seuil selon les régions). En cas de dépassement de seuil, l’acquéreur devra vendre d’autres terres ou les louer à de jeunes agriculteurs dans le cadre de baux à long terme.

    Si ce projet de loi est soutenu par la FNSEA et les chambres d’agriculture, certains s’y opposent, à commencer par le député socialiste Dominique Potier, qui craint que la mesure soit détournée via la création de nouvelles sociétés, et qui demande des précisions quant aux critères en vertu desquels se prononceront les préfets. Avant l’examen de la loi, Jean-Bernard Sempastous évoquait une définition de ces critères par le biais de décrets.

    Des difficultés à lever…

    De son côté, le Conseil national de l’expertise foncière agricole et forestière évoque le risque de conflits d’intérêts dans l’action des Safer. Un point également souligné par la FNPPR (Fédération Nationale des Propriétaires privés ruraux) et la FNAIM (Fédération Nationale de l’Immobilier), qui « émettent des doutes sur la capacité à garantir, sans contrôle, l’impartialité d’un système dans lequel un même acteur est à la fois le régulateur et le principal opérateur du marché ». Hugues de la Celle, président de la FNPPR, a surenchéri : « Ces nouvelles prérogatives représentent une atteinte supplémentaire à la liberté d'entreprendre, au dynamisme des exploitations agricoles les plus en pointe et en conséquence à l'autonomie alimentaire », s’inquiétait-il début mai.

    Au-delà, l’opposition s’interroge sur la pertinence des seuils évoqués en termes de surfaces. Ceux-ci seraient fixés à des niveaux trop élevés qui pourraient même rendre la mesure contre-productive. Dans le cas de l’Île-de-France, par exemple, un couple d’agriculteurs pourrait disposer de plus de 780 hectares sans être contrôlé.

    La gauche critique également l’idée d’une possible dérogation en cas de projet utile au territoire. Dominique Potier a ainsi pris l’exemple du fameux groupe chinois Reward, qui a acquis 2.600 hectares dans l’Indre et dans l’Allier, et qui pourrait toujours arguer de sa contribution au développement économique de ces territoires, par exemple en termes d’emploi. Enfin, il est prévu qu’un délai soit fixé au-delà duquel l’absence de retour des préfectures vaut acceptation, ce qui n’enchante pas non plus l’opposition, même si Jean-Bernard Sempastous a répondu que tout était fait pour que la loi et le cahier des charges de la Safer soient respectés, quitte à annuler les cessions. Un amendement pourrait être voté pour accentuer les sanctions.

    Ce mardi et ce mercredi, le texte était en première lecture et environ 200 amendements devaient être discutés (mais aucun de ceux proposés par le député socialiste). Le ministre de l'agriculture Julien Denormandie a défendu le projet mardi soir à l’Assemblée.

    La loi devrait à l’arrivée être votée par la majorité, en espérant qu’un compromis viable soit trouvé en tenant compte de certaines objections. En attendant donc la fameuse « grande loi » promise, si la majorité repasse en 2022. Il s’agira alors de s’attaquer à d’autres dérives comme le travail délégué (recours de l’agriculteur à des sociétés spécialisées auxquelles sont sous-traitées leurs tâches, ce qui lui permet d’éviter le fermage et de conserver les aides de la PAC, tout en récupérant un loyer plus élevé).

    On n’en a donc pas fini avec la réflexion sur notre politique agricole…

    La proposition de loi : cliquez ici

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