Ce vendredi 23 octobre, les 3 textes de la future PAC ont été adoptés à une large majorité par le Parlement européen, deux jours après l’accord trouvé, dans la nuit du mardi au mercredi précédents, par les ministres de l’agriculture européens. Ce vote est le résultat d’un compromis entre les 3 principaux partis du Parlement, à savoir PPE (conservateurs), S&D (socialistes) et Renew (libéraux, parti auquel est associée Larem).
Çà et là, on parle d’une PAC « plus verte », mais ses modalités n’ont pas l’air d’enchanter tout le monde. Quoiqu’il en soit, la voie est désormais ouverte aux négociations tripartites entre les eurodéputés, les États et la Commission. La PAC 2021-2027 devrait finalement entrer en vigueur avec deux ans de retard, en 2023.
Concrètement, l’enjeu majeur de la définition de cette nouvelle PAC était de conditionner une partie des aides accordées au respect de critères environnementaux, selon le principe d’« écorégimes » définis par les États-membres, c’est-à-dire de primes attribuées aux exploitants engagés dans des programmes environnementaux nationaux. Et c’est sans doute là l’un des sujets centraux des « trilogues » à venir : alors que les ministres plaidaient pour 20% d’aides directes de l’UE accordées à ce titre aux exploitations, les eurodéputés ont souhaité pousser cette part jusqu’à 30%.
La grogne des Verts et des ONG…
Autre disposition adoptée, un minimum de 35% du budget consacré au développement rural sera destiné à des mesures environnementales ou liées au climat. Pour mieux protéger les petites exploitations, les eurodéputés ont aussi acté une réduction progressive des paiements directs annuels aux agriculteurs au-dessus de 60.000 euros, avec un plafonnement prévu à 100.000 euros.
Dans la nouvelle PAC, les gouvernements reprendront en partie la main sur la distribution des fonds européens, avec pour principale obligation de respecter les engagements environnementaux et climatiques de l’UE. Au-delà, sont prévues diverses mesures de soutien aux jeunes agriculteurs, aux filières comme celles des protéines végétales ou en faveur de l’environnement et du bien-être animal. Pour la période 2021-2027, le budget de cette nouvelle PAC a été fixé à 386,7 milliards d’euros, soit presque 7 de plus que celui du « septennat » qui s’achève. C’est toujours le tiers du budget de l’UE.
Comme on pouvait s’y attendre, ce vote et ces textes ont donné lieu à des réactions très diverses. « Cette nouvelle PAC va permettre de mieux accompagner le monde agricole dans le changement et une transition déjà largement engagée. Car les agricultrices et les agriculteurs n’ont pas attendu qu’on en parle pour faire. Ils ont bien compris qu’ils sont les premières victimes de la crise climatique et environnementale dont on les tient parfois pour responsables, et qu’ils doivent s’adapter à cette situation comme aux demandes de la société », a par exemple expliqué l’eurodéputé Jérémy Decerle (Renew Europe) au quotidien La Croix. Devant les critiques de l’opposition, l’ex-président des Jeunes agriculteurs invoque la nécessité de préserver l’équilibre économique des exploitations.
Il n’empêche que les Verts et les ONG manifestent à haute voix leur désapprobation. Pour eux, l’Europe a raté l’occasion de changer de paradigme et de passer d’un modèle productiviste à un modèle centré sur l’agro-écologie. Selon des eurodéputés comme l’écologiste Benoît Biteau, cette nouvelle PAC ne répond pas aux enjeux actuels. Elle avantagerait toujours les détenteurs de grandes surfaces et conduirait « à ce que 80% de l’enveloppe de la PAC soit captée par 20% des agriculteurs ».
Un « cannibalisme agricole » jouerait ainsi toujours en la défaveur des jeunes et petits propriétaires. Les « éco-régimes » ne représenteraient pas un progrès mais une stagnation par rapport aux dispositions de la PAC décidées en 2013. Fondés sur le volontariat et des choix d’options, ils ne seraient pas assez contraignants. D’autres évoquent une « renationalisation de la PAC » (à cause de la latitude à nouveau laissée aux États) qui constituerait un recul.
Les syndicats partagés…
Sur la forme, les reproches sont aussi liés au fait que cette nouvelle PAC a été en grande partie conçue dès 2018, et donc avant le « Pacte Vert » européen et la stratégie « de la ferme à l’assiette » votés cette année, alors que ces derniers imposent de nouveaux objectifs chiffrés comme la baisse de 30% des émissions de GES, de 20% de l’utilisation des fertilisants et de 50% des pesticides et des antibiotiques d’ici 10 ans, le tout avec la visée d’atteindre 25% de surfaces cultivées en agriculture biologique.
De leur côté, les syndicats agricoles sont assez partagés. La FNSEA était plutôt satisfaite à l’issue de l’accord entre les 27 ministres, mais ce n’était pas vraiment le cas de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne. Après le vote du Parlement, le Modef (Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux) a quant à lui émis d’assez sévères critiques sur le choix de plafonnement des aides (il plaide pour un plafond à 50.000 euros par actif) et les paiements, demeurant conditionnés aux surfaces (qui favoriseraient encore les agrandissements et la spéculation foncière).
Il milite également pour la hausse du budget du paiement redistributif (censé valoriser les exploitations de taille limitée mais à valeur ajoutée, typiquement dans l’élevage ou les fruits et légumes). En revanche, le Modef partage la position du Parlement sur la part de 30% des aides dédiée aux éco-régimes. Mais à l’arrivée, pour le mouvement, « le duo européen, dans ses propositions sur la réforme de la PAC, ne répond pas aux objectifs de garantir un revenu décent aux paysans et d’assurer la souveraineté alimentaire ». Aïe…
Pour ne pas changer, la politique agricole commune va donc encore faire débat un moment. Car les négociations à venir pour finaliser cette PAC ne suffiront sans doute pas à obtenir un plus large consensus…
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