Frédéric Lherm, diplômé des Arts et Métiers, a œuvré pendant 40 ans chez Dassault Aviation, avec les plus hautes responsabilités jusqu’à devenir directeur général des opérations industrielles pour l’ensemble des établissements de production du groupe. Il est aujourd’hui un retraité particulièrement actif avec la présidence de la Fondation Estia, mais aussi celle du CESI, une autre école d’ingénieurs.
Comment êtes-vous arrivé au Pays Basque ?
Frédéric Lherm – J’ai rejoint le site de Dassault Aviation à Biarritz-Anglet en 1993, après avoir débuté comme responsable du bureau d’études outillage, qui travaillait à l’industrialisation du Rafale. Dès mon arrivée, j’ai été en relation avec les entreprises et les institutions locales, mais aussi avec l’Institut du logiciel et des systèmes (IDLS), créé par la CCI Bayonne Pays Basque, qui deviendra l’Estia en 1996. J’ai ainsi suivi de près les débuts de cet établissement qui accueille aujourd’hui 1.100 étudiants. Il est à noter que Jean-Marie Berckmans et Bernard Darretche, respectivement président et directeur général de la chambre consulaire à l’époque, sont toujours impliqués au sein de la fondation. L’école, elle, s’est ensuite considérablement développée, prenant une nouvelle dimension ces dernières années sous l’impulsion d’André Garreta, président de la CCI et de l’Estia, et de Patxi Elissalde, le directeur général de l’Estia.
La suite de votre parcours ?
F. L. – En 2007, je suis parti aux Etats-Unis pendant 5 ans pour piloter la réorganisation et la mise en place de filières pour Dassault Aviation à Little Rock, un site industriel spécialisé dans les Falcon. Je suis ensuite revenu à la direction générale à Paris. Quand le groupe a décidé de constituer un réseau de « Grands Ambassadeurs » auprès des écoles d’ingénieur, je me suis proposé pour prendre cette mission auprès de l’Estia à Bidart, fort des relations nouées à l’époque. Il faut dire que, dès mon premier passage au Pays Basque, je m’étais intéressé de près à la mise en place de projets pour les étudiants et de stages en entreprise. Le début d’une véritable vocation, sans le savoir.
Les débuts de la fondation ?
F. L. – Elle a été créée en 2008, avec comme premier président Emeric d’Arcimoles, patron de Safran Helicopter Engines (ex-Turbomeca), leader mondial des turbines d’hélicoptères, basé à Bordes et à Tarnos. J’avais alors assuré, naturellement, le rôle de représentant de Dassault Aviation dans la Fondation. Après deux mandats, il m’a proposé de prendre le relais. Ce que j’ai accepté bien volontiers.
Pourquoi ?
F. L. – La Fondation d’entreprises Estia était en parfaite connexion avec mon projet retraite et la volonté de mettre mon expérience au service des jeunes. Il me semblait important et intelligent que des anciens cadres dirigeants de grands groupes continuent de s’impliquer dans des écoles d’ingénieur pour contribuer à la construction d’un avenir ambitieux. Une manière concrète de participer au développement des entreprises et du territoire. Ce sont exactement les missions de la Fondation.
Une envie d’agir pour les jeunes ?
F. L. – J’apprécie d’abord cette relation que la fondation entretient avec les forces vives du territoire. Mais, il est vrai que j’ai une appétence particulière pour les jeunes. Et pour avoir vécu aux Etats-Unis, je pense qu’il faut leur apporter beaucoup plus d’attention. La jeunesse est un formidable réservoir de belles forces vives pour l’avenir, et il faut accepter qu’elle n’ait pas les mêmes aspirations que notre génération. Nous avons tenté de faire le mieux. A leur tour, ils vont essayer de faire de même, mais le mieux à leurs yeux est différent.
Votre action ?
F. L. - La fondation est pertinente par sa capacité à mettre en relation plusieurs univers : l’enseignement supérieur, le monde de l’entreprise, les institutions et la jeunesse. A travers cela, on est mieux à même de comprendre comment les jeunes ressentent le monde et la vie, comment ils voient l’avenir puisque ce sont eux qui le feront. Cela nous intéresse beaucoup et nous partageons nos observations avec les entreprises : comment mieux accueillir les jeunes ? comment les mettre en parfaite symbiose dans l’entreprise pour réussir ensemble ?
Les priorités ?
F. L. – Il est indispensable de continuer à aider l’enseignement supérieur à se développer face à la concurrence des pays émergents. Il faut des formations d’excellence pour être les meilleurs. Et pour cela, nous devons rester innovants avec des industries de haut niveau.
C’est la première idée. La deuxième est simple : sans industrie forte, pas de territoire fort. Il faut permettre aux entreprises d’avoir les meilleures ressources humaines. L’école contribue à nourrir le territoire avec des jeunes qui reviennent ensuite travailler ici. La troisième chose, et c’est la priorité de notre mandature, Il faut préparer les entreprises aux grands changements en cours : les transitions environnementales, énergétiques… mais aussi la nécessaire transition sociale.
La responsabilité sociétale des entreprises est devenue incontournable…
F. L. – Parfaitement. La RSE est un élément très fort, car demain une partie des clients n’achètera plus des produits à une société qui ne porte pas une certaine éthique. Les jeunes n’iront pas travailler dans des entreprises qui ne respectent pas des valeurs essentielles. D’où la nécessité de prendre en compte dès maintenant une démarche RSE dans les écoles supérieures : les jeunes n’iront pas dans une école qui ne partage pas ces valeurs. On a donc un gros travail aujourd’hui pour définir les nouvelles aspirations des jeunes et adapter les axes de développement de l’école, en ligne avec les besoins de compétences mais aussi des valeurs partagées avec les citoyens, les employés, les entreprises…
La pandémie du covid a aussi changé la donne…
F. L. – Elle a remis plein de choses en place, avec des critères différents de réussite. Nous vivons une époque extraordinaire, avec de vraies belles questions de société qui se posent. J’aimerais avoir 20 ans aujourd’hui. Au début, la RSE était souvent subie comme une contrainte, une obligation… progressivement, elle s’impose comme une évidence, notamment chez les nouvelles générations de dirigeants.
L’entreprise peut être un creuset de développement personnel ?
F. L. – Elle doit l’être de plus en plus, en permettant aux jeunes de s’épanouir professionnellement tout en partageant des valeurs fortes. Personnellement, j’ai profité de mon développement de carrière pour nourrir mon propre développement de vie. Ma conception est de « rendre » une partie de ce que j’ai ainsi reçu, en contribuant à l’émergence d’un terreau favorable. Il est important pour moi de pouvoir restituer une connaissance, une approche, un travail collectif… Cela participe également à mon équilibre.
Vous êtes un cas particulier ?
F. L. – Non, je ne suis pas un cas unique. D’autres rejoignent la fondation dans le même état d’esprit. C’est d’autant plus plaisant d’animer cette démarche. Il y a beaucoup de partage. Beaucoup ont envie de faire du bien. Pour reprendre une phrase de Léonard de Vinci : le mal progresse du manque d’action de gens de bien. Là, on en est loin grâce à des personnes très engagées, très modernes… En plus, les jeunes sont rassurants, avec une grande écoute et une envie de faire les choses bien. J’ai confiance dans l’avenir, confiance en eux, d’où l’importance de les aider.
Le rôle de la Fondation auprès de l’Estia ?
F. L. – Il est un élément fort d’un écosystème qui ne cesse de se consolider, de progresser, de s’enrichir, d’évoluer. Notre rôle est multiple, de manière directe ou indirecte. Nous avons apporté notre contribution à la forte progression du nombre d’élèves, mais aussi travaillé à la création de plateformes technologiques qui font le pont entre les ingénieurs et les entreprises. Plus globalement, nous sommes là pour soutenir le développement de l’école dans son internationalisation, comme dans sa contribution à l’activité économique locale, en favorisant l’innovation, la compétitivité des entreprises, l’émergence de jeunes pousses. Dans l’écosystème Estia, la fondation est un piston du moteur.
Qui sont les membres ?
F. L. – Plusieurs grands groupes et ETI basques sont impliqués depuis longtemps, comme Safran, Dassault Aviation, Sokoa, Epta, le Crédit Agricole, Lauak, Artzainak, Technoflex, Lophitz, Akira, Alios Pyrénées… Il faut savoir que la Fondation accueille toutes formes d’entreprises, de toutes tailles, dans tous les secteurs. Mais aussi des forces vives complémentaires, venues d’ailleurs mais qui s’inscrivent dans le développement du Pays Basque. C’est une manière d’éviter de rester trop enfermés sur nous-mêmes.
Le challenge majeur ?
F. L. - Les transitions sociales et managériales, la transition des générations. J’ai toujours aimé les technologies, la technique, l’opérationnel. Mais ces dernières années, je me suis passionné pour les rapports sociaux dans l’entreprise et l’évolution du management avec les jeunes générations. La dimension humaine évolue très vite et prend une place majeure, avec de gros défis à relever.
Informations sur le site internet de la Fondation d’entreprises Estia
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