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Publié le

1500 COUPS DE POUCEJessica Vieville, quand l’amour se heurte au silence

Avec « Georges », son premier roman inspiré d’une histoire vraie, Jessica nous plonge dans la France des années 1950, entre amours interdits, secrets de famille et mémoire transmise
L'auteure Jessica Vieville lors d'une séance de dédicaces
Jessica Vieville DR
Directrice d’école et passionnée d’écriture, elle signe avec « Georges » un premier roman bouleversant. Entre archives familiales et émotion brute, elle redonne voix à ceux que le silence avait effacés
Jessica Vieville DR

Elle écrit comme on respire après une longue apnée. Avec Georges, Jessica Vieville signe un premier roman à la fois pudique et bouleversant, où les mots s’enracinent dans la terre de la mémoire. Tout commence par une boîte retrouvée après la mort de sa grand-mère, remplie de lettres jaunies : celles d’un jeune homme, Georges, dont la vie s’est achevée trop tôt. En reconstituant ce puzzle intime, l’autrice tisse les liens entre amour interdit, silence familial et héritage émotionnel.

Directrice d’école à Moustey, dans les Landes, elle prouve qu’il n’est pas nécessaire de vivre dans les grandes capitales pour faire naître de grandes histoires. Sa plume, simple et sincère, explore la complexité des sentiments, la peur du regard des autres, et la puissance de la transmission. Rencontre avec une écrivaine pour qui chaque mot est un pas vers la lumière.

À la fin de votre roman, nous retrouvons cette phrase percutante, « J’ai tué d’avoir aimé. »  Pouvez-vous nous en expliquer sa portée ?
Jessica Vieville : Il s’agit d’une phrase tirée de la lettre de Paulette à son fils Georges, à la fin du roman. Georges s’est suicidé car ses fiançailles ont été rompues à la suite de l’homosexualité de sa mère. Les parents de Gilberte, sa promise, lui ont refusé la main de cette dernière car ils ne souhaitaient pas que leur fille épouse le fils de deux femmes ensemble. Il faut comprendre l’ampleur d’une telle révélation à cette époque. En France, l’homosexualité n’a été dépénalisée définitivement qu’en 1982, soit trente ans plus tard. Tout au long du roman, le personnage de Paulette souffre du mutisme concernant son Amour pour Marie. Le fait d’apprendre que son fils avait été mis au courant de cette relation juste avant sa mort la fait se sentir coupable de n’avoir su résister à ce qu’elle ressentait. Pour elle, son fils est mort à cause de son amour pour une autre femme.

L’histoire se déroule en 1953, dans un village encore hanté par la guerre. Qu’est-ce qui vous a attirée vers cette époque, et comment avez-vous travaillé pour en restituer l’atmosphère et les mentalités ?
J.V : Je n’avais absolument pas dans l’idée d’écrire sur cette époque. Au décès de ma grand-mère, j’ai hérité d’une boite contenant les correspondances de Georges durant son service militaire. Il a fallu d’abord trier toutes les lettres, en prenant soin de ne pas les abîmer, les retaper à l’ordinateur. Puis, j’ai effectué un travail de tissage entre les lettres (qui sont réelles). Lorsque j’écrivais, j’avais l’impression d’être accompagnée par mon arrière-grand-mère. Il faut savoir que les personnages ont vraiment existé. Je partage sur mes réseaux des photos d’eux lors des « rendez-vous hebdo » chaque dimanche. Les lecteurs sont toujours au rendez-vous. Il m’a fallu effectuer quelques recherches historiques, comme le nom du Président à cette époque. Mais tout cela s’est finalement fait de manière très fluide. Je me suis rendue à la mairie de Yerres en Essonne, pour connaître la date du décès de Georges. J’ai été très émue lorsque j’ai ainsi compris que je tenais dans mes mains sa lettre écrite seulement une semaine avant son suicide.

À travers deux mères et un jeune homme, vous explorez les silences de la famille, les amours interdits et la mémoire collective. Quelle place ces thèmes occupent-ils dans votre propre parcours ou vos réflexions personnelles ?
J.V : Ce roman s’est imposé à moi après un travail en psychogénéalogie. Cette science holistique met en lumière les liens intergénérationnels, autrement dit, l’influence des drames familiaux du passé dans la vie actuelle. J’ai été profondément émue par l’histoire de Georges, mais aussi de Paulette et Marie. J’ai toujours grandi dans un milieu entre hétérosexuels et homosexuels. Des membres de ma familles sont homosexuels, mon amie d’enfance l’est … Je n’ai jamais réussi à comprendre pourquoi l’amour devait se justifier. C’est ce qui m’a révolté et impressionné.
Impressionnée, car il fallait être sacrément courageuses pour vivre à deux femmes dans les années 1950, sans homme à la maison. Révoltée, car à cause d’une homophobie non assumée, elles n’ont jamais pu être libres de leur amour. Il était important pour moi de rétablir l’ordre et de mettre en lumière le courage de cette famille.
Les silences familiaux font énormément souffrir. C’est un véritable fléau.

Jessica Vieville DR

Vos lecteurs parlent d’un livre « d’une beauté sans nom », capable de les faire pleurer. Comment vivez-vous cette réception très émotionnelle ? Était-ce votre intention de bouleverser autant, ou cela vous a-t-il surprise ?
J.V : En toute honnêteté, je ne m’attendais absolument pas à toucher autant de monde, me considérant comme une simple directrice d’école rurale. J’ai été très surprise par ce succès rapide mais j’ai surtout été portée par la bienveillance de mes lecteurs. Je suis vraiment touchée par tous les retours que je reçois au quotidien. Cela prouve que l’émotion que j’ai moi-même ressentie en écrivant ce roman, se transmet d’un lecteur à un autre.
 
Ce premier roman semble déjà marquer une empreinte forte. Envisagez-vous une suite, un nouveau récit dans le même univers, ou avez-vous envie de changer totalement de registre pour votre prochain projet ?
J.V : Mon deuxième roman est en route, mais il est difficile de trouver du temps d’écriture entre mon rôle d’enseignante, de directrice et de maman. Il s’agira d’une toute autre époque, mais la dimension des difficultés familiales et la force des sentiments seront toujours les lignes directrices. Sans en dire trop, on suivra le combat d’un couple dans l’acceptation du handicap de leur fils. Ce roman ne se déroulera plus en campagne parisienne, mais sous le soleil des Landes.


Avec Georges, Jessica Vieville a fait bien plus qu’écrire une fiction : elle a ouvert un dialogue entre les générations, un espace de mémoire et d’émotion. Derrière ses mots, il y a la pudeur d’une époque, la douleur des secrets, mais aussi la force d’aimer envers et contre tout.

Son roman, ancré dans le passé, parle pourtant au présent : à tous ceux qui cherchent à comprendre d’où ils viennent pour mieux savoir où ils vont. Et si, pour Jessica Vieville, tout a commencé par des lettres retrouvées, on devine déjà que d’autres pages s’écrivent, à savoir celles d’une voix littéraire appelée à compter.

COUP DE POUCE

Si vous aimez les histoires qui remuent le cœur autant que la mémoire, laissez-vous happer par Georges. Ce roman ne se lit pas seulement, il se ressent. Jessica Vieville y tisse la délicatesse d’une plume sincère à la puissance d’un sujet universel : l’amour face au silence, la filiation face aux non-dits. Jessica mérite vraiment un coup de pouce de notre part. Comment ? N'hésitez pas à partager cet article autour de vous et sur vos réseaux sociaux pour permettre à ce livre de récolter le succès qu’il mérite.

Derrière chaque phrase, on devine le souffle d’une femme qui écrit pour comprendre, pour transmettre, pour réparer. En ouvrant ce livre, on entre dans un monde où les émotions ne trichent pas et où les lettres d’hier éclairent les blessures d’aujourd’hui. Un véritable baume pour l’âme, à découvrir sans tarder, voire à offrir à ceux qui croient encore que la littérature peut guérir les cicatrices du passé. Une bonne idée pour un cadeau de Noël !

Sébastien Soumagnas

Agenda des dédicaces à venir de Jessica Vieville
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