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ICI ON PRODUIT LA VIELa maison Pascal Massonde cultive le goût du territoire

Installée à Souraïde, l’entreprise familiale perpétue depuis près d’un siècle un savoir-faire artisanal indissociable du territoire basque.
Manuel Berasateguy, dirigeant de l'entreprise de conserverie Pascal Massonde
Pascal Massonde DR
Cette entreprise artisanale s’inscrit pleinement dans le mouvement inédit que PresseLib’ Pays Basque initie : « ICI, on produit la vie », pour mettre en avant chaque mercredi les femmes et les hommes qui produisent ICI et qui produisent ainsi de la vie ICI.
La boutique Pascal Massonde à Espelette
Pascal Massonde DR

À Souraïde, le nom de Pascal Massonde est presque une institution. Depuis 1938, cette maison familiale incarne un modèle rare, à savoir celui d’une entreprise qui a su grandir sans jamais rompre le fil de la tradition, ni se détacher de la terre qui la nourrit. Au fil des décennies, l’histoire s’est écrite dans la continuité : des halles de Saint-Jean-de-Luz à la conserverie de Souraïde, quatre générations ont façonné une entreprise profondément attachée à son territoire.

Aujourd’hui dirigée par Manuel Berasateguy, la maison Pascal Massonde emploie une quarantaine de salariés et travaille main dans la main avec une quinzaine d’éleveurs basques. Une aventure humaine et gourmande, où l’on parle autant de transmission que de production, de goût que de valeurs. Rencontre avec Manuel Berasateguy, figure emblématique d’une entreprise où la vie se produit au sens le plus concret du terme.

Vous dites recruter des personnes « d’ici ». Que cela signifie-t-il concrètement ?
Manuel Berasateguy : Nous attachons beaucoup d’importance à recruter des personnes ancrées dans le territoire. Cela ne veut pas dire forcément des natifs du Pays Basque, mais des gens installés durablement, qui vivent à proximité, dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres autour de l’entreprise. Ce critère est essentiel : on sait à quel point la question du logement peut être un frein pour ceux qui voudraient s’installer ici.
Recruter quelqu’un de Bordeaux, par exemple, reviendrait souvent à demander un CDI immédiat et à prendre un risque important si la situation ne se stabilise pas. Nous privilégions donc les personnes déjà enracinées, propriétaires ou bien installées, en couple, avec des enfants scolarisés… Bref, celles et ceux qui ont choisi de construire ici leur vie, comme nous produisons ici la nôtre.

Vous travaillez avec une quinzaine d’éleveurs basques dans un rayon de 50 km. Pourquoi cet ancrage local si fort ?
M.B : C’est avant tout une histoire de famille et de continuité. Depuis quatre générations, nous entretenons un lien étroit avec la terre et avec ceux qui la cultivent. Mon frère, par exemple, exploite encore aujourd’hui les terres familiales en Piment d’Espelette.
Notre entreprise s’est toujours développée au service du territoire et de sa population, en s’adaptant aux besoins des paysans, des entreprises, des collectivités. Quand le monde agricole traversait des périodes difficiles, nous étions présents à ses côtés. Et quand les consommateurs ont commencé à réclamer plus de traçabilité et de labels locaux, nous avons su leur apporter ces garanties.
Notre approche écologique n’est pas militante, mais de bon sens. Travailler avec l’agriculteur du village, c’est participer à l’entretien des terres et du paysage. Aujourd’hui, 75 % de nos achats sont réalisés dans un rayon de 150 km. Ce n’est pas anodin quand on sait que certains départements n’ont même plus d’abattoirs. Ici, nous avons la chance d’en compter six, et de pouvoir faire vivre tout un écosystème local.

Mais le plus marquant, c’est que 75% de notre chiffre d’affaires est réalisé dans un rayon de 25 km, entre Hendaye, Tarnos, Capbreton et Saint-Jean-Pied-de-Port. C’est le reflet d’une entreprise née pour et par son territoire.

La boucherie de l'entreprise
Pascal Massonde DR

Cette histoire locale semble intimement liée à la boucherie de quartier...
M.B : Exactement. À l’origine, nous étions des commerçants de proximité. Le boucher du coin servait tout le monde : les restaurants, les cantines, les centres de soins… Nous avons grandi avec cette idée de service de proximité, toujours à l’écoute des besoins du client.
Notre force, c’est la fidélité. Nous avons un commercial, mais un suivi client irréprochable. Chez nous, chaque commande est bichonnée, et en cas de souci, on rappelle le client. Cette relation de confiance est la clé de notre longévité.
Et elle s’incarne aussi dans notre ancrage local : nos enfants mangent dans les cantines que nous fournissons, nos proches ont été soignés ou ont accouché dans des établissements qui servent notre viande. On retrouve nos produits à la buvette du rugby, dans les méchouis de village, dans les fêtes locales. C’est tout un cercle vertueux : une véritable économie circulaire, vécue au quotidien.

Pascal Massonde DR

Vous avez modernisé votre outil de production tout en restant fidèles au savoir-faire artisanal. Comment trouvez-vous cet équilibre ?
M.B : Deux valeurs guident nos choix : la qualité et le goût. Certaines recettes ont plus de quarante ans, et si elles n’ont pas changé, c’est parce qu’elles sont abouties. Nous n’y touchons que si c’est pour faire mieux.
Mais préserver le savoir-faire est un défi, surtout quand les piliers de l’entreprise partent à la retraite. Trois charcutiers historiques, avec plus de 35 ans d’ancienneté chacun, sont partis récemment. Leur départ, c’est aussi une part de mémoire qui s’en va. Il faut donc transmettre, reformer, accepter de ralentir le rythme quand une nouvelle génération apprend. Nous avons volontairement réduit les volumes de 20 % le temps que l’équipe monte en compétence. C’est un investissement dans l’avenir.

Cette fidélité des équipes, comment l’expliquez-vous ?
M.B : Parce que nous considérons nos employés comme ce qu’il y a de plus précieux. Il faut en prendre soin, les écouter, être présent dans les bons comme dans les mauvais moments.
Nous avons la chance de travailler avec des personnes depuis vingt, trente, parfois quarante ans. Cela permet d’accompagner des cycles de vie entiers : les débuts enthousiastes, les périodes familiales plus difficiles, les joies et les peines.

Le boudin, une des recettes phares de la conserverie
Pascal Massonde DR

Notre rôle, c’est d’être à la bonne distance : pas des amis, mais des employeurs attentifs. Être à l’écoute, c’est aussi être patient. Produire, ce n’est pas seulement une question de cadence, c’est une question d’humain.

On parle beaucoup de la disparition des emplois de production. Comment réussissez-vous à en maintenir ici ?
M.B : En continuant à proposer de l’emploi, tout simplement. Beaucoup de gens du coin apprécient de travailler près de chez eux, sans passer des heures dans les bouchons. Cela améliore leur qualité de vie, et c’est un vrai confort.
Nous cherchons donc en priorité des personnes du secteur. Et puis, travailler dans l’alimentaire, c’est gratifiant : nos produits parlent à tout le monde. C’est plus concret que de fabriquer une pièce anonyme pour une machine.
Quand un client vous arrête pour vous dire qu’il adore vos boudins ou votre ventrèche, c’est une reconnaissance directe. Ce lien social, cette fierté du métier, c’est aussi ce qui donne envie de produire ici.

L'atelier boucherie où les bouchers préparent la viande
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Vous êtes engagé dans le cluster Uztartu et dans la marque Herriko Haragia. En quoi ces initiatives collectives sont-elles importantes ?
M.B : Ces démarches font partie de notre ADN. Mon père a été l’un des pionniers de Herriko Haragia et a toujours cru à la force du collectif. Ces réseaux permettent de créer du lien entre entreprises du même secteur, d’échanger des bonnes pratiques, de résoudre ensemble des problématiques communes.
Au Pays Basque, il existe une vraie culture de la coopération. On pourrait se dire qu’on partage ses idées avec ses concurrents, mais au final, tout le monde y gagne. C’est ce travail en commun qui a permis de structurer une filière solide et dynamique, là où d’autres territoires fonctionnent en vase clos.

Vous avez poursuivi la modernisation de l’entreprise. Quelles évolutions avez-vous engagées depuis votre arrivée ?
M.B : Nous avons investi dans plusieurs équipements pour réduire notre impact environnemental : récupération de la chaleur des groupes frigorifiques, panneaux photovoltaïques qui couvriront à terme 25 % de nos besoins en électricité, et une station de prétraitement des eaux usées.

La Maison Pascal Massonde à Souraïde
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Nous avons veillé à ce que ces aménagements s’intègrent harmonieusement dans le paysage. Le nouveau bâtiment, discret et en tuiles rouges, ne dénature pas le site. Nous avons préféré rénover un ancien local plutôt que d’empiéter sur les terres agricoles. C’est une manière de concilier production et respect du cadre de vie.

Et sur le plan des produits ?
M.B : Nous avons renforcé la démarche Herriko en recréant des filières d’approvisionnement locales. Cela nous permet d’obtenir des volumes réguliers, une meilleure traçabilité et une qualité constante.
Nous avons aussi développé une gamme destinée à la restauration gastronomique, notamment avec des restaurants étoilés du Pays Basque et de Bordeaux.
Depuis 2020, nous avons ouvert deux boutiques, à Espelette et à Saint-Jean-de-Luz, pour mieux valoriser nos produits régionaux. Ces points de vente nous ont apporté une belle visibilité : les clients découvrent enfin qui nous sommes, où et comment nous fabriquons.
Tous les vendeurs, même saisonniers, passent par les ateliers avant de travailler en boutique, pour comprendre le processus de fabrication. Cela leur permet de transmettre nos valeurs avec sincérité et précision.

La boutique aux Halles de Saint Jean de Luz
Pascal Massonde DR

Enfin, quel message adresseriez-vous aux jeunes ou aux décideurs sur l’importance de produire ici, au Pays Basque ?
M.B : Produire ici, c’est être en mesure d’adapter sa production aux besoins du territoire. C’est aussi garantir une certaine autonomie : quand tout est délocalisé, on devient dépendant de ceux qui veulent bien nous vendre leurs produits.
Produire localement, c’est créer de la proximité, de la réactivité et du lien. C’est aussi assumer une responsabilité sociale : celle de faire vivre le territoire.
Il m’arrive souvent qu’un maire ou un président de comité des fêtes me demande de trouver une solution pour servir de la viande locale à son village. C’est exactement ça, notre rôle : apporter des réponses concrètes, ici, chez nous.


Chez Pascal Massonde, produire ici n’a jamais été un slogan. C’est une manière d’être, un engagement quotidien qui se mesure à la fidélité des équipes, à la constance des recettes et à la confiance tissée avec les éleveurs voisins.

À Souraïde, chaque bocal, chaque jambon raconte cette alliance entre la terre et les hommes, entre le savoir-faire et la modernité. Alors que beaucoup d’entreprises délocalisent, la maison Massonde prouve qu’on peut croître sans s’éloigner, innover sans renier, transmettre sans perdre l’essence.

Une leçon de durabilité enracinée dans le terroir basque, où l’on ne produit pas seulement des charcuteries : on y produit la vie.

Propos recueillis par Sébastien Soumagnas

Pascal Massonde DR

Un défi majeur à relever ensemble…

Plus nombreux qu’on ne le pense, ceux qui produisent au Pays Basque montrent la voie. On pense souvent à quelques fleurons industriels, à des grands groupes, mais une multitude de femmes et d’hommes font partie de l’aventure production, avec des structures de toutes tailles. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Tous méritent d’être encouragés.
 
A travers cette rubrique « ICI, on produit la vie », PresseLib’ veut animer une communauté, en favorisant des solidarités, en encourageant la partage d’expériences, en incitant aux transmissions, en faisant bouger les lignes, en faisant émerger des solutions nouvelles… Bref, en créant une dynamique inédite.

Participez !

Ce nouveau rendez-vous est celui d’une communauté, engagée pour défendre et valoriser les emplois de production.

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